Je saisis le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) concernant des manquements lors de l'émission C à vous sur France 5.
Des informations erronées ont été présentées, induisant le public en erreur, à la fois sur la date d'interdiction de l'insecticide acétamipride, sur les impacts de l'acétamipride sur les écosystèmes ainsi que sur les causes des difficultés de la filière noisettes.
1. Affirmaion erronée sur l'interdiction de l'acétamipride
L'animatrice, Mme Lemoine, affirme que l'acétamipride aurait été interdit en 2023 pour la culture des noisettes. C'est inexact la dérogation pour la culture des noisettes s'est arrêtée en juillet 2020 : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000038471378
L'erreur peut paraître minime mais elle est importante pour comprendre les enjeux. Si on pense que l'interdiction date de 2023, il n'est pas surprenant que que le problème de la noisette ne soit soulevé que maintenant. Or, l'interdiction datant de 2020, un problème qui n'émergerait que maintenant étonne davantage (et à juste titre puisque le rôle de l'acétamipride avec les problèmes actuels de la filière n'est pas du tout étayé).
2. Désinformation sur les impacts de l'acétamipride
– Mme Woessner, explique l'interdiction de l'acétamipride par un recours au principe de précaution qui consisterait selon elle à interdire un produit « même sans preuve scientifique ». Or, c'est une caricature du principe de précaution. Ainsi dans la déclaration de Rio de 1992, il s'agit de prendre des mesures en l'absence de pleine certitude, pas sans preuve scientifique. En l'occurrence, comme Mme Woessner affirme cela dans le contexte de l'interdiction de l'acétamipride, elle suggère qu'aucune preuve scientifique ne justifierait son interdiction. C'est inexact. L'expertise collective de l'Inrae (https://www.inrae.fr/actualites/biodiversite-services-rendus-nature-que-sait-limpact-pesticides) indique divers dommages imputables à l'acétamipride (p. 1334 sur les parasitoïdes ou p. 1335 sur les vers de terre). De plus, il existe des preuves d'un effet de synergie entre l'acétamipride et d'autres pesticides (par ex. https://link.springer.com/article/10.1007/s10646-019-02030-4 ou https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0147651319314319). Or, les agences chargées de l'autorisation des pesticides ne prennent pas en compte ces effets de synergie. L'autorisation n'est donc pas du tout une garantie d'innocuité. Que ces preuves suffisent à une interdiction, c'est un débat qu'il est légitime d'avoir, mais il convient de ne pas déformer la réalité des connaissances scientifiques sur le sujet : au contraire de ce que suggère Mme Woessner il existe des preuves d'une nocivité de l'acétamipride pour les écosystèmes. À ce titre, le fait qu'une agence sanitaire comme l'EFSA l'autorise n'est pas une garantie ainsi qu'expliqué précédemment en raison de la non prise en compte des effets de synergie entre pesticides.
3. Rôle non étayé de l'acétamipride dans les difficultés de la filière
Mme Woessner prétend que les difficultés rencontrées par la France seraient imputables à l'interdiction de l'acétamipride qui, à l'inverse est autorisé en Italie.
On comprend donc implicitement que l'Italie ne rencontrerait pas de telle difficulté. Or, c'est faux également. Les rendements de la production de noisettes sont consultables sur le site de la FAO (https://www.fao.org/faostat/en/#data/QCL), il en ressort que les rendements sont plus élevés en France qu'en Italie. Il en ressort également qu'en France, comme en Italie, les rendements ont baissé ces dernières années.
Pour l'année 2024, la filière italienne semble continuer à rencontrer des difficultés comme en témoigne cet article de RomaToday : https://www.romatoday.it/politica/produzione-nocciole-crollo-aiuti-regione-tavolo-tecnico-lazio.html Les causes mises en avant sont le changement climatique ainsi que les parasites.
Il y a donc une désinformation sur les causes des difficultés de la filière noisettes mises en avant par Mme Woessner. L'Italie présentant des difficultés très similaires, et ses rendements étant moindres, il n'y a aucune raison valable de mettre en cause l'interdiction de l'acétamipride.