« Cela ne prêtera pas à conséquence »
C’est en ces termes qu’Erwan Seznec m’a informé qu’il chercherait à savoir qui je suis. Après un article prétendant me doxxer sur le site de l’AFIS (Association Française pour l’Information Scientifique) et un autre pour le mensuel d’extrême-droite Causeur, on peut légitimement dire que la promesse n’est pas tenue. Malheureusement il ne s’agit pas de la seule entorse à l’éthique de ce journaliste.
Pourquoi s’intéresser à un obscur internaute comme moi ? Je dois confesser avoir eu l’outrecuidance de modifier la page Wikipedia de l’AFIS. Cela n’a pas eu l’heur de plaire à Erwan Seznec, alors administrateur de l’association. Il m’avoue même naïvement « on ne s’était pas occupé [de cette page Wikipedia] depuis des lustres ». Modifier anonymement la page Wikipedia de l’association dont on est administrateur, c’est a minima un manque de transparence et au pire un non respect des règles de l’encyclopédie en ligne.
Après une heure d’enquête en ligne, deux noms de domaine et une anagramme plus tard, Erwan Seznec pense avoir trouvé qui je suis. Je me garderai de faire de la publicité à ses théories loufoques. En revanche, bien qu’aucune preuve solide n’accrédite ses accusations, il n’hésite pas à en faire profiter l’AFIS et à remettre le couvert deux ans plus tard dans un article pour Causeur. L’homme semble avoir la rancune tenace… et une déontologie discutable.
Son article pour Causeur1 vise à prouver que j’influence grandement le contenu de l’article Wikipedia sur le glyphosate, comme en témoigne le chapeau : « Conformément aux conclusions de l’OMS, l’encyclopédie en ligne Wikipédia affirme l’innocuité du glyphosate. Sauf dans sa version francophone. Cette singularité est due au zèle militant d’un seul internaute. » Vous devinez qui ? Là aussi, l’affirmation est grotesque et la démonstration vaseuse.
Le redoutable enquêteur aligne les preuves de ma sinistre influence sur l’encyclopédie en ligne.
- J’ajoute la référence d’une méta-analyse qui ne montrerait qu’une corrélation. En effet, c’est la seule chose que peut faire une méta-analyse d’études épidémiologiques. Mais de toute façon la référence à cette étude a été supprimée de la page Wikipedia… moins de 7 heures après que je l’ai ajoutée.
- Le journaliste me reproche d’avoir été défavorable à ce qu’une étude (AHS) soit ajoutée à l’article. Mais je marque ce désaccord après l’ajout de la référence et sans toucher à la référence à cet article.
- Seznec n’apprécie pas la manière dont cette étude de l’AHS est citée, la forme étant jugée « bizarre ». Mes seules contributions à ce paragraphe se résument à corriger des valeurs erronées et à rendre une formulation moins technique.
- Il me reproche de ne pas vouloir mentionner le conflit d’intérêt de Christopher Portier, rémunéré par des cabinets d’avocats (notre investigateur zélé ne précise pas que cette rémunération est postérieure à l’analyse du CIRC). Je marque en fait mon désaccord avec l’ajout d’un paragraphe procédant à un amalgame assez trompeur. Ce paragraphe sera reformulé, mais par un autre contributeur.
- Le journaliste de ce média climato-sceptique et d’extrême droite m’accuse ensuite de me « battre » pour que le CIRC soit cité en premier. C’est effectivement une position que j’ai défendue (car c’est la classification du CIRC qui a engendré les prises de position d’agences réglementaires nationales ou supra-nationales). Contrairement à ce que veut faire croire le journaliste, je ne suis pas le seul sur cette position et je ne suis pas celui qui remettra le CIRC en première position. Le contributeur qui voulait descendre l’avis du CIRC insistera à de nombreuses reprises, ce qui entrainera diverses révocations de la part de plusieurs contributeurs (ici, ici, ici de moi, ici). La dernière révocation entrainera la protection de la page pour éviter que le contributeur impose de force un avis qui n’était pas consensuel. C’est donc plutôt cette personne-là qui a tenté d’exercer une influence malsaine sur Wikipedia.
Finalement, parmi l’ensemble des éléments laborieusement rassemblés par le journaliste pour tenter de convaincre du « zèle militant d’un seul internaute », mon impact réel sur l’article Wikipedia sur le glyphosate a consisté à : corriger des chiffres erronés, simplifier une formulation, et révoquer la modification d’un utilisateur réellement trop zélé, pour le coup, qui faisait fi de l’avis de la communauté. Pour le reste, dans les exemples cités par le journaliste, j’ai en réalité surtout participé aux discussions. Et on a pu voir qu’elles ne sont pas souvent allées dans le sens que je défendais. Tant pis pour la singularité que j’aurais imposée à l’article. Présenté ainsi, c’est certes moins spectaculaire, mais plus réaliste et donc plus en phase avec l’éthique journalistique, dont je conçois qu’il s’agit d’un concept étranger à Causeur.
Sur le fond, enfin, le journaliste parle « d’innocuité du glyphosate », que « le temps, en réalité, a joué en faveur du glyphosate. Au fil des années, les études se suivent et l’innocentent ». Là aussi, c’est tout faux. Comme en témoignent le rapport de l’Inserm de 2013 sur les effets des pesticides sur la santé ou diverses méta-analyses publiées en 20192. Elles n’étaient certes pas toutes connues au moment de la publication du numéro de Causeur mais une méta-analyse s’appuie sur des articles existants et donc sur les « études [qui] se suivent » « au fil des années » et qui, en fait, n’innocentent pas le glyphosate sauf lorsqu’on met à nouveau son éthique de côté et qu’on fait dire à ces études ce qu’on a envie qu’elles disent.
- qui paraît d’ailleurs dans un numéro de 2019 titré « Contre la religion du climat, pour la raison », aux nombreux articles climato-sceptiques dont celui de François Gervais, titré « Le CO2, une chance pour la planète ? », reprenant là la rhétorique des think tanks conservateurs étatsuniens financés par l’industrie fossile [↩]
- Voir par exemple un thread Twitter que j’avais fait sur le sujet. [↩]