Sur le glyphosate, l’AFIS désinforme à coups de communiqué

Publier un communiqué est un acte rare pour l’AFIS, la situation devait être particulièrement dramatique pour que l’association en publie un ce 20 octobre 2023, intitulé : « Glyphosate, médias et politique : la science inaudible et déformée ». L’association prétend donc que la science serait « déformée » par les médias. C’est en fait leur communiqué qui nie des faits extrêmement bien documentés. Une fois de plus, l’AFIS réinvente les faits pour nourrir sa rhétorique et met de côté de nombreux résultats scientifiques, qu’elle ne prend pas la peine de citer.

Depuis plusieurs années, de nombreux travaux scientifiques soupçonnent un effet cancérigène du glyphosate (voir par exemple ici), de nombreux travaux soulignent également les effets sur les écosystèmes (voir également l’expertise collective de l’Inrae et de l’Ifremer, qui aborde la question du glyphosate, ou, plus spécifiquement, cet article récent sur l’impact sur les abeilles). Notamment, les effets sur les microbiotes pourraient impacter tous les animaux, y compris les humains. Le travail des agences réglementaires, lui, est décrié, notamment parce qu’il repose principalement sur des études industrielles confidentielles mais aussi parce qu’il souffre de nombreux points aveugles (les impacts sur les microbiotes sont justement mal pris en compte). Des scientifiques ont récemment rappelé qu’une réautorisation du glyphosate irait à l’encontre de nombreux travaux scientifiques, voire serait un déni de la science. La toxicologue Laurence Huc1, le toxicologue Xavier Coumoul, co-auteur de l’expertise collective de l’Inserm sur les impacts des pesticides sur la santé2, et l’entomologiste Philippe Grandcolas, directeur adjoint scientifique de CNRS Écologie et Environnement3 l’ont exprimé clairement. L’AFIS, elle, s’accomode parfaitement d’un tel déni et ne prend pas la peine de se faire le relais de ces voix.

Le communiqué de l’AFIS fait l’impasse sur ces différents faits ou n’en évoque certains que pour les caricaturer. Voici les problèmes majeurs de ce communiqué :

Le CIRC a classé le danger, les agences aussi

L’AFIS affirme dans son communiqué :

Les nombreuses agences sanitaires qui se sont penchées sur la question concluent, en tenant compte de l’exposition réelle, à une absence de risque significatif.

Cette phrase arrive juste après une phrase indiquant que la classification du CIRC est une classification du danger. Comme je le disais déjà dans cet article il y a quatre (!) ans, si la classification du CIRC en « cancérigène probable » est bien une classification du danger, il n’empêche que le CIRC étudie aussi le risque, y compris « en tenant compte de l’exposition réelle ». La meilleure preuve : la classification du CIRC s’appuie sur des études épidémiologiques qui analysent le nombre de cancers en fonction des expositions des agriculteurs. Ces études, prises en compte par le CIRC, relèvent bien de l’exposition réelle. Aucune exposition au glyphosate n’est induite chez des humains dans le seul but de savoir s’il provoque des cancers.

Un colloque scientifique s’est récemment intéressé au hiatus entre le CIRC et les agences réglementaires à propos du glyphosate. Selon les scientifiques rassemblés à ce colloque, cette différence ne s’explique pas par le fait que les agences feraient une analyse du risque. C’est le type d’études prises en compte (ce que l’AFIS niera ensuite) ou encore le fait de préférer un faux négatif à un faux positif qui explique les différentes conclusions.

Introduire la différence entre le CIRC, d’une part, et les agences comme une différence de nature d’analyse entre le danger et le risque est donc factuellement faux. Aucune source sérieuse n’affirme cela. D’ailleurs, l’AFIS est bien incapable de citer une source à l’appui de son affirmation. C’est la première désinformation.

Les critiques caricaturées des agences

Ces agences sont alors toutes accusées d’être le relais des « lobbies agro-alimentaires » et d’ignorer la littérature académique pour ne prendre en compte que les résultats des industriels. Cela ne correspond pas à la réalité.

Communiqué de l’AFIS

Aucune source n’est donnée par l’AFIS pour justifier d’où proviendrait de telles affirmations. Je crois que personne ne dit que les agences ne prendraient en compte que les résultats des industriels. En revanche, elles prennent bien majoritairement, prioritairement, principalement en compte les études réglementaires de l’industrie. D’ailleurs même l’Anses l’affirme. C’est donc une nouvelle désinformation de l’AFIS.

Plutôt que de faire un état de ces avis et d’en décrire le contenu, la plupart de ceux qui militent contre l’usage du glyphosate préfèrent disqualifier les organismes concernés en mettant en cause l’intégrité des experts impliqués (alors qu’ils sont souvent issus du monde académique) et dénoncer des agences « sous influence » [4].

Communiqué de l’AFIS

Là non plus, les critiques les plus récentes sur les agences réglementaires ne portent pas sur les personnes impliquées (aucun exemple n’est fourni par l’AFIS). Quant aux agences « sous influence », l’AFIS a la bonne idée de donner une source : un article de Libération… datant de 2017. Font-ils vraiment un communiqué pour dénoncer des articles d’il y a six ans ?! N’ont-ils pas trouvé plus récent ? Surtout le contexte de cette « influence » n’est pas rappelé par l’AFIS, il ne faudrait pas trop informer leur lectorat : il s’agit du cas de plagiat par l’EFSA du dossier soumis par les fabricants. L’EFSA avait en effet recopié mot pour mot des analyses complètes réalisées par les industriels. Cela posait en effet question quant à l’indépendance de l’analyse…

Xavier Coumoul, que je citais précédemment, rappelle sur Mediapart que la méthodologie utilisée n’est pas la même entre l’EFSA, d’une part, et le CIRC ou l’Inserm, d’autre part : « Lorsqu’on a des avis parfois divergents sur des produits, c’est qu’on a des méthodologies différentes. ».

D’autre part, les critiques des agences sont assez explicites et je les ai résumées par ailleurs. L’expertise collective de l’Inserm de 2021, comme l’expertise collective de l’Inrae et de l’Ifremer, comme le rapport du conseil scientifique de l’Anses soulignent le décalage entre les connaissances scientifiques et les connaissances prises en compte par les agences5. Ces critiques-là sont complètement ignorées par l’AFIS qui préfère s’attacher à courageusement critiquer des propos qu’elle invente.

L’AFIS, qui reproche aux médias, de ne pas décrire le contenu des avis des agences ne s’épuise pas non plus à décrire le contenu des critiques qui visent les agences. D’ailleurs, l’AFIS non plus ne décrit pas le contenu des avis des agences puisqu’elle prétend à tort que leur expertise sur la cancérogénicité s’est faite « en tenant compte de l’exposition réelle ».

Déni du hiatus entre science réglementaire et science académique

Un intertitre du communiqué de l’AFIS est particulièrement explicite, et consternant : « La fable de la « science réglementaire » contre la « science académique » ». Or, ce hiatus entre science académique et réglementaire est bien connu et d’ailleurs rappelé dans les expertises que j’ai citées ci-dessus.

D’ailleurs, l’AFIS ne définit jamais ce qu’est la science réglementaire et la place toujours entre guillemets, comme s’il fallait se détacher de cette expression qu’elle récuserait. Or cette notion de science réglementaire est très bien établie, étudiée et définie.

Voici ce qu’en dit le rapport du conseil scientifique de l’Anses sur la crédibilité de l’expertise scientifique :

Boubal et Jouzel (2019) définissent la science réglementaire comme la forme spécifique de recours à l’expertise que pratiquent les agences en charge du contrôle des risques des produits et activités
industriels. Ils précisent que, pour les chercheurs académiques, elle désigne la coexistence de considérations scientifiques et politiques dans le travail des agences en charge de l’évaluation des
risques. Pour Camadro et al. (2018), le terme recouvre l’ensemble des activités scientifiques produisant les connaissances servant à développer, appuyer ou adapter la réglementation en matière de santé
publique et d’environnement. Selon Borraz et Demortain (2015), la science réglementaire est un ensemble d’activités scientifiques d’évaluation qui participe de la prise de mesures juridiques visant à
encadrer les activités et produits industriels (autorisation, retrait, fixation de seuils de présence ou d’exposition, étiquetage de médicaments, de produits cosmétiques, de certains aliments ou produits
chimiques, etc).

Cette science réglementaire repose « en grande partie » (et non exclusivement, contrairement à ce que veut faire croire l’AFIS) sur « des données qui restent privées » indique ce même rapport de l’Anses. À l’inverse, les travaux académiques « même s’ils sont jugés pertinents par les pairs ne sont pas facilement pris en compte [par les agences] ni dans les évaluations des dangers et risques, ni dans la révision des valeurs limites ».

Borraz et Demortain, cités dans ce rapport se posent d’ailleurs la question de « la capacité de [la science réglementaire] à remettre en cause les protocoles, méthodes et dispositifs sur lesquels est assise sa légitimité, mais aussi plus simplement à identifier dans ces équipements les facteurs de biais ou d’ignorance des risques ». Laurence Huc et Jean-Noël Jouzel soulignent qu’il existe « un hiatus permanent entre « savoir réglementaire » et « science académique » dans la procéduralisation de l’évaluation des risques ».

On le voit la notion de science réglementaire est bien connue, correspond sans surprise au travail des agences réglementaires, dont les résultats sont questionnés.

L’AFIS ignore savamment tous ces éléments afin de présenter, encore une fois, cette distinction entre science et science académique sous un angle caricatural.

Au niveau européen, mais également dans de nombreux pays en dehors de l’Union européenne, le dossier d’homologation ou de réhomologation comprend toutes les études pertinentes, et donc également les études publiées émanant de laboratoires indépendants.
[…]
Le CIRC s’appuie aussi largement sur les études industrielles

Communiqué de l’AFIS

Ni l’une, ni l’autre de ces affirmations ne sont susceptibles de remettre en cause le hiatus décrit entre science académique et réglementaire. Oui, les agences réglementaires prennent en compte certaines (rares) études académiques. Oui, le CIRC ne prend pas en compte que la littérature académique publiée dans les journaux mais toutes les données disponibles (et ce n’est pas rare de procéder ainsi dans les travaux académiques). Pour autant le fonctionnement du CIRC n’a aucun rapport avec de la science réglementaire.

L’opposition « science réglementaire » qui ne se s’appuierait que sur les études produites par les industriels contre « littérature scientifique évaluée par les pairs » est donc une construction partisane complaisamment médiatisée, mais sans fondement.

Communiqué de l’AFIS

On rêve, donc. L’opposition entre ces deux notions, bien documentée est renvoyée à une « construction partisane […] sans fondement ».

Critique non explicitée au sujet du rôle potentiel du glyphosate dans l’atrésie de l’œsophage

Enfin, on ne sait pas où souhaite nous amener l’AFIS avec sa dernière partie qui porte sur l’atrésie de l’œsophage dont souffre un enfant depuis sa naissance. Cette atrésie a été récemment reconnue comme pouvant être liée à l’emploi de pesticides (en l’occurrence le glyphosate). L’AFIS regrette un « emballement médiatique ». En quoi y a-t-il eu emballement médiatique ? L’information relayée était-elle fausse ? Non. N’était-elle pas digne d’intérêt pour le public ? L’AFIS ne le dit pas. Les médias auraient-ils dû ne pas en parler ? L’AFIS ne le dit pas.

Ce qu’on comprend, en creux, c’est qu’il s’agit d’une bonne occasion de taper sur Stéphane Foucart, journaliste au Monde, sur lequel l’AFIS adore taper depuis qu’il critique les climatosceptiques. L’AFIS nous dit que l’« emballement médiatique » aurait été « initié par le journal Le Monde ». On comprend mal comment un article du Monde publié le 9 octobre à 19h15 aurait pu « initier » un « emballement médiatique » avec un article de FranceInfo publié à… 18h05 ou un reportage de Vakita, média d’Hugo Clément, posté sur Twitter à 18h376.

Enfin, pour remettre en cause le lien possible entre l’exposition au glyphosate et l’atrésie de Théo, l’AFIS (qui n’a a priori pas plus eu accès au dossier que moi) cite une méta-analyse de 2011 pour minimiser un tel lien. Ciel ! L’AFIS n’a jamais cité aucune méta-analyse trouvant des liens entre l’exposition au glyphosate et le développement de lymphomes non-hodgkiniens. Voilà qu’elle se décide, sur ce sujet-là, à en chercher.

Peut-être pourrait-on objecter que des recherches ont pu se produire depuis 2011 ? Il se trouve que j’avais justement identifié une étude de 2020 qui mentionnait les facteurs environnementaux connus liés aux atrésies de l’œsophage : étaient cités les pesticides, le tabac, les herbicides, la consommation d’alcool avant la grossesse ou l’utilisation de vitamines. Citer des travaux datés pour prétendre à l’ignorance sur un sujet, le procédé est a minima douteux, si ce n’est franchement malhonnête.

L’hypocrisie de l’AFIS

Pour finir l’AFIS affirme :

Le débat public gagnerait à ce que soit restitué, en intégralité et sans déformation, l’ensemble des expertises.

Communiqué de l’AFIS

Il faut se pincer en lisant cette phrase. L’association demande aux autres de faire ce qu’elle n’applique pas elle-même. C’est audacieux. En matière d’expertise, elle ne rappelle pas dans son communiqué que l’Inserm a identifié une présomption moyenne de lien entre l’exposition au glyphosate chez les agriculteurs et le développement de lymphomes non-hodgkiniens. Elle ne mentionne pas non plus les nombreuses expertises ayant étudié la (faible) pertinence des avis des agences réglementaires. Elle n’aborde jamais les avis de différents scientifiques sur la question du glyphosate, notamment Laurence Huc, Xavier Coumoul ou Philippe Grandcolas, ni les craintes soulevées par de nombreux scientifiques pour la biodiversité des sols ou pour les maladies neurodégénératives. L’AFIS sélectionne les expertises qui lui conviennent, les scientifiques qui lui conviennent7, les méta-analyses qui lui conviennent8. Cette sélection minutieuse des informations qui conviennent à l’AFIS n’a qu’une vertu : préserver la position originelle de l’AFIS, prétendant à une absence de risque du glyphosate, afin de ne pas avoir à reconnaître d’erreurs. Je rappelle que l’attrait de l’AFIS pour les « agences » est également à géométrie variable : l’association n’a jamais cité la recommandation de Santé Publique France de manger bio si possible…


  1. « quand j’ai constaté la quantité d’études écartées, j’en suis tombé de ma chaise et je me suis même demandé comment on en est arrivé à un tel point […] Ça n’a rien à voir avec de la science, c’est un effacement de la science », ou encore : « Une réautorisation du glyphosate en Europe sur la base des avis de l’Efsa et de l’ECHA ne serait pas une décision basée sur la science. », et aussi : « je crois qu’on est dans une situation de paroxysme de déni de la connaissance scientifique » []
  2. « L’EFSA se base principalement sur la science réglementaire, qui ne couvre pas l’ensemble des pathologies […] On ne devrait pas balayer les études scientifiques parce que les agences réglementaires font un peu office de position dominante […] Il y a des études récentes qui viennent de sortir et qui sont cohérentes avec notre conclusion [de l’expertise collective de l’Inserm] », et aussi : « de dire qu’il y a aucun problème, ça pour moi, c’est problématique parce que ça veut dire qu’on met de côté des expertises qui sont sérieuses […] d’une certaine manière [ce serait un déni scientifique] » []
  3. « ce qu’on peut regretter en tant que scientifiques c’est que le résultat de notre activité […] ne soit pas pleinement pris en compte et c’est dommageable pour l’environnement » []
  4. Je parle sciemment de mensonge, car ce sujet a été maintes fois traité, j’en ai fait un article et ce sujet a aussi donné lieu à des échanges (de mauvaise foi) avec le président de l’AFIS ici, et . M. Bréon avait néanmoins fini par reconnaître que l’ECHA considérait qu’il n’y avait pas de danger, à l’inverse du CIRC qui identifie un danger probable []
  5. Inserm : « [Les études épidémiologiques] restent faiblement prises en compte dans les procédures réglementaires d’évaluation des risques des pesticides, les agences en ayant la charge mettant souvent en avant leurs limites méthodologiques. ». Inrae/Ifremer : « La prise en compte de la bibliographie académique est requise dans la procédure […] Cette bibliographie n’est ainsi dans les faits que très partiellement mobilisée ». Anses : « le cadre réglementaire est de plus en plus questionné comme étant en décalage avec l’état de l’art des connaissances scientifiques » []
  6. Hugo Clément parlera ensuite du cas de Théo, qui souffre de cette atrésie, et lui laisse la parole sur France Inter deux jours plus tard. []
  7. Seul le Pr Gottrand est cité, sur les atrésies de l’œsophage, pour minimiser le lien avec le glyphosate, aucun autre scientifique []
  8. Seule une vieille méta-analyse sur les atrésies est citée, pas les méta-analyses sur le glyphosate, que ce soit concernant les effets sur les cancers ou sur la biodiversité []

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