Le premier tour de l’élection présidentielle 2012 vient de se terminer et les deux qualifiés au second tour sont, sans grande surprise, François Hollande et Nicolas Sarkozy. Ces deux candidats se vantent, à longueur de temps, d’être réalistes. Si répéter une affirmation ne la rend pas vraie pour autant, celle-ci est pourtant fortement ancrée dans les esprits. Or les programmes de l’un ou de l’autre n’ont vraiment rien de réaliste. Démonstration.
Croissance, croissance, croissance… qui y croit encore ?
Alors que Nicolas Sarkozy a promis le retour des trente glorieuses, François Hollande s’engage pour un retour de 2 à 2,5% de croissance par an à la fin de son mandat. Dans le détail des chiffres, les visions de Hollande et Sarkozy sont assez semblables. Pour Hollande, c’est +0,5% en 2012, +1,7% en 2013, et +2% entre 2014 et 2017 (voire +2,5% entre 2015 et 2017). Pour Sarkozy c’est +0,7% en 2012, +1,75% en 2013 (on appréciera la précision), +2% de 2014 à 2017. Cela alors que ces deux candidats prévoient une baisse des dépenses. Elle pourrait même être plus prononcée que celle annoncée. S’il y a moins de dépenses, cela signifie qu’il y a moins d’argent dans l’économie et donc moins de possibilité de faire augmenter le PIB et donc la croissance. Mais en fait, ce n’est même pas cela qui m’intéresse dans ce cadre-là. Sans coupe des dépenses, cette vision est toute aussi irréaliste.
La réalité : de moins en moins de croissance
Il n’aura échappé à personne que l’économie a connu quelques soubresauts ces dernières années. La sacro-sainte croissance tant espérée par les deux postulants n’a pas vraiment été au rendez-vous et la France a même connu une période de récession. Si la croissance du PIB n’est pas une fin en soi, les périodes de récession ne sont pas encore des périodes de joie et d’allégresse : notre système est constitué de telle façon qu’une période de récession pèse fortement sur les finances publiques (moins d’impôts sont prélevés, alors qu’il y a plus de dépenses) et nous rend donc encore plus dépendants des marchés financiers auprès desquels nous sommes obligés d’emprunter de l’argent.
Il n’est pas question, ici, de dire qu’il faut toujours de la croissance, mais de souligner le fait que notre système en dépend, tant qu’aucune mesure n’aura été prise pour avoir la prospérité sans croissance. Hollande et Sarkozy étant des hommes politiques présents sur la scène depuis quelques décennies, ils n’ont pas particulièrement fait évoluer leur façon de penser et ne se sont apparemment pas posés la question de la nécessité de la croissance. Ils restent donc dans le dogme de la croissance infinie et indispensable.
Or la croissance est de plus en plus faible, de décennies en décennies. Il faut se rendre à l’évidence : nous allons vers des récessions de plus en plus fréquentes, autant s’y préparer. Pourquoi allons-nous vers des récessions ? Pour le comprendre, revenons aux causes de la précédente récession.
Crise de 2008 : du passé ?
En 2008, tout le monde a pu remarquer qu’une crise financière s’est déroulée. En revanche, un autre élément a été moins observé. Le prix du baril de pétrole a explosé : il est passé de moins de 10$ en décembre 1998 à plus de 140$ en juillet 2008. Sachant que nous consommions environ 710 millions de barils de pétrole par an en France en 2008, cela représente un surcoût d’environ 90 milliards de dollars (je dis bien milliards) pour cette seule année. L’argent supplémentaire dépensé pour l’achat de pétrole n’a pu être affecté à d’autres activités en France, ce qui n’a pas arrangé bon nombre d’entreprises. D’ailleurs au premier rang des entreprises concernées, nous trouvons le secteur automobile. Qui dit pétrole cher, dit essence chère, dit « mon budget auto est suffisamment élevé pour que j’évite d’acheter une (grosse) voiture tout de suite ». Conséquence : au même moment que les banques, il a fallu aider les entreprises de l’automobile (Renault et PSA, General Motors, Opel, …). Si on restreint sa vision de la crise de 2008 à la crise des subprimes, on ne comprend pas pourquoi il aurait fallu venir en aide à l’automobile en plus des banques ou des assurances. Si on fait rentrer le pétrole dans l’équation, cette aide devient déjà plus logique.
La crise de l’industrie automobile permet de mettre en exergue le fait que le prix du pétrole a eu une influence sur l’économie. Mais il ne se limite pas à l’automobile. Il a aussi eu pour conséquence de faire monter les prix alimentaires1, et donc encore une fois de peser sur le budget des ménages, qui ont dû contraindre leurs dépenses par ailleurs, ralentissant encore l’activité économique.
De nos jours…
Où en est-on désormais ? Tout va bien ! Le prix du baril de pétrole navigue entre les 110$ et les 120$. Les ventes de voitures sont au plus bas depuis 1998, en Europe. Et la France n’est pas en reste avec une baisse de 23%… Les prix de l’alimentaire des marques nationales ont augmenté de 5% en un an. Ça ne vous rappelle rien ? Comme un arrière goût de 2008, non ? Dans ce cas, on connaît la suite. Ce n’est pas la croissance à 2% voire 2,5% mais la récession qui nous attend. Et cela sans prendre en compte les plans d’austérité chez nos voisins, et ceux en cours ou à venir chez nous.
Pour paraphraser une phrase célèbre, ceux qui espèrent une croissance durable du PIB en France sont fous ou candidats au second tour de la présidentielle.
Mélangeons les torchons et les serviettes
Dans ces conditions je me vois difficilement, dimanche 6 mai 2012, faire un choix entre ces deux candidats. D’autant plus qu’on pourrait creuser ailleurs et se rendre compte que le programme de ces deux personnes n’apparaît toujours pas réaliste. Si j’exècre Nicolas Sarkozy, je ne me résous pas à voter François Hollande dont le programme me semble irréaliste et donc dangereux pour notre avenir. Alors, n’en déplaise à certains, j’envisage de voter blanc2. Non, je n’en ai pas rien à faire de la politique qui sera menée dans les cinq ans à venir, et je ne préfère pas aller à la pêche. Mais le choix qui m’est proposé ne correspondant à rien de crédible, je me vois mal devoir apporter ma voix au moins pire des candidats.
- Où on se rend compte de l’inanité de certains rapports officiels, critiquant le manque de concurrence pour faire baisser les prix. La vision des dirigeants est donc restreinte à ce point pour ne pas voir la cause profonde de la montée des prix alimentaires (qui n’est pas restreinte à la France) ! Au passage, la solution est originale : faire comme en Allemagne [↩]
- Et loin de l’exagération de Maître Eolas, un vote blanc ne fait pas perdre « une à deux minutes ». Faire signer une enveloppe par 4 personnes et ajouter un bâton dans une case prend peut-être une trentaine de secondes. Par ailleurs, les scrutateurs ne peuvent en aucun cas perdre une demie heure en raison des bulletins blancs ou nuls. Une table de scrutateurs s’occupe de 100 bulletins (peut-être 200, s’ils ont deux paquets). Même en prenant l’estimation haute d’Eolas de 1 à 2 minutes par vote blanc ou nul, comme on n’aura pas 10 à 20% de bulletins blancs ou nuls, le temps « perdu » sera bien moindre. Qu’une table de scrutateurs voient passer une vingtaine de bulletins blancs ou nuls semble pour le moins exagéré si ce n’est totalement manipulatoire. Enfin, à mon sens il s’agit plutôt d’une pause salutaire pour les personnes chargées du décompte des voix. Cela leur permet de relâcher la pression quelques instants. Alors Maître, trouvez d’autres arguments plus convaincants que cette supposée perte de temps. [↩]
2 comments for “Et si les utopistes n’étaient pas ceux que l’on croit ?”