L’Allemagne est un formidable pays. Personnellement je ne le connais pas mais à en croire certaines personnes, généralement de droite, il se passe des choses formidables en Allemagne. Allons au-delà de cette image belle comme une histoire de Bisounours et intéressons-nous aux faits.
Chère compétitivité
Le « modèle allemand » est souvent accolé au terme compétitivité. L’Allemagne serait plus compétitive que nous. Pourtant j’ai déjà montré que nos coûts salariaux unitaires ne sont pas plus élevés. Pour ceux qui auraient séché cette séance-là, je rappelle que le coût salarial unitaire met en face du coût d’un salarié ce qu’il produit. Cela permet donc de comparer de manière plus fiable les coûts du travail entre pays dont la productivité n’est pas nécessairement la même. Et voici un graphique (mis à jour) tiré de ce précédent article :
Pourquoi l’industrie manufacturière ? Parce qu’il s’agit d’un secteur qui est davantage soumis aux délocalisations. À vrai dire, si on regarde le coût salarial unitaire de manière global, la situation est plus avantageuse pour la France. Mais même ici elle n’a rien de catastrophique et l’Allemagne ne fait pas figure de monstre de compétitivité dans ce domaine-là.
D’autant plus que regarder une année donnée permet de visualiser les ordres de grandeur mais ne permet pas de prendre suffisamment de recul pour distinguer deux pays au coût salarial proche… comme, par exemple, l’Allemagne et la France. Regardons donc ces deux-là de 1991 à 2011.
Il n’y a vraiment rien de renversant. De temps en temps la France a un coût salarial unitaire inférieur, de temps en temps c’est l’Allemagne. En somme les deux se tournent autour. On note malgré tout qu’en Allemagne le coût a sensiblement diminué entre 2002 et 2007.
Le miracle du chômage
Les mérites de l’Allemagne sont fréquemment mis en avant au prétexte que son taux de chômage est remarquablement bas.
Le chômage a considérablement baissé en Allemagne. Dans la zone Euro, ce n’est pas la France qui fait figure d’exception mais bien l’Allemagne. Le taux de chômage en France suit à peu près celui de la zone Euro. En revanche, le taux allemand part à l’opposé de celui de la zone Euro. Les comparaisons sont biaisées dès le départ, car les chiffres du chômage sont largement sous-estimés en France comme en Allemagne. Ces trucages constituent déjà une bonne partie de l’explication. Mais quels sont les effets sur la population de cette soi-disant baisse du chômage mais des réelles réformes qui ont été mises en place ?
La baisse des salaires
Pour commencer, regardons l’évolution du revenu moyen de 1991 à 2011, en Allemagne et en France.
De façon intéressante, l’Allemagne connaît d’abord une croissance plus importante de son salaire moyen que la France, puis à partir de 2003 rentre dans une phase de stagnation. C’est justement à partir de cette période-là que les réformes du gouvernement Schröder sont mises en place. Depuis, l’Allemagne n’a pas comblé son retard. Une conséquence de cette stagnation des salaires est que la part des salaires dans le total des richesses produites a fortement diminué.
On avait vu que le coût salarial unitaire dans l’industrie manufacturière avait chuté entre 2002 et 2007. On retrouve bien ici le même effet. La part des salaires dans le PIB a également chuté pendant cette période. Si la crise a permis de rééquilibrer, par la force des choses, le niveau antérieur de 60% du PIB est encore loin.
Travail à temps partiel
Un autre facteur explicatif, non sans lien avec le précédent, est le recours au travail à temps partiel. Dans un précédent article, j’avais déjà montré que l’Allemagne s’illustrait par une durée de travail à temps partiel particulièrement faible : il s’agit de la plus basse parmi les pays d’Europe : environ 18 h par semaine.
Cette faible durée du travail à temps partiel a peu évolué au cours du temps. Ce qui a changé, en revanche, c’est le recours de plus en plus massif au temps partiel.
Augmentation des inégalités
Les conséquences sont une augmentation des inégalités. Entre ceux qui disposent d’un emploi à temps plein et ceux qui ne peuvent que prétendre à un emploi à temps partiel, l’écart se creuse. Cela peut d’abord s’illustrer par le coefficient de Gini, qui est une mesure des inégalités. Une valeur de 0 correspond à une égalité parfaite (tout le monde a le même revenu) alors qu’une valeur de 1 correspond à une inégalité totale (une seule personne a tous les revenus). Regardons l’évolution de ce coefficient en France et en Allemagne.
Alors que ce coefficient était plus faible en Allemagne qu’en France, à la fin des années 1990, celui-ci s’est accru (les inégalités se sont donc creusées), pour maintenant dépasser la France. Cette augmentation se matérialise très concrètement avec l’augmentation du taux de pauvreté sur la période. Les plus pauvres font donc bien partie de ceux qui souffrent des mesures mises en place en Allemagne.
Après avoir connu un minimum à 10% en 2000, le taux de pauvreté en Allemagne a fortement augmenté, pour finir par dépasser celui de la France (alors qu’elle était dessous depuis un moment), et atteindre les 15,8 % de pauvres. Cette augmentation de la pauvreté concerne aussi les travailleurs, pour lesquels l’augmentation de la pauvreté est encore plus massive.
Alors que 4% des travailleurs étaient pauvres au début des années 2000 en Allemagne, ils sont maintenant près de 8 % ! Ce taux est certes proche de celui de la France. Mais en France celui-ci est resté relativement stable depuis le milieu des années 1990. C’est en Allemagne qu’il a d’abord baissé puis explosé, avec les réformes mises en place.
Il y a maintenant 1,2 millions d’employés qui bénéficient de l’aide sociale en Allemagne, contre 880 000 en 2005. Plus de 15% des travailleurs gagnent moins de 7,5 € brut par heure (pour rappel, le SMIC horaire, en France est de 9,4 € brut). Quant aux retraites, elles sont misérables et certains retraités doivent retourner travailler. Faut-il y voir un lien avec le fait que l’espérance de vie des personnes aux plus faibles revenus ait baissé de 2 à 3 ans entre 2001 et 2010 ?
D’après le Crédit Suisse (p.81), les français ont en moyenne un patrimoine plus important que les allemands : 265 463$ de patrimoine par adulte, en France contre 174 526$ en Allemagne (soit 50 % de plus) ; les français sont en revanche plus endettés de 19 %.
Dans ces conditions, il est assez ironique de voir les détracteurs des 35 heures, au prétexte qu’il faudrait augmenter le temps de travail et qu’elles auraient fait perdre du pouvoir d’achat (ce qui est faux), vanter le modèle allemand. Modèle qui consiste justement à baisser le temps de travail et diminuer le pouvoir d’achat des salariés.
Mises à jour
- 24/02/2013 : Ajour des données du Crédit Suisse sur la richesse et l’endettement moyen des français et allemands.