L’augmentation de l’espérance de vie pendant la deuxième moitié du XXè siècle a surtout été portée par la baisse de la mortalité infantile, faisant gagner 4,4 ans d’espérance de vie. Depuis 2012, la mortalité infantile a arrêté de baisser. Elle augmente même légèrement. Loin d’être un phénomène généralisé, elle est spécifique à la France… dans un silence total.
La France, pays modèle en terme de mortalité infantile en Europe est devenu un cancre. Alors que parmi l’UE des 15, il s’agissait du 4è ou 5è pays à la mortalité infantile la plus faible à la fin des années 1990, c’est désormais le pays avec la plus haute mortalité infantile parmi ces 15. Sa mortalité infantile est désormais équivalente à celle de la Pologne et est proche de celle de la Grèce au pire de la crise d’austérité provoquée par les mesures imposées par le FMI et l’UE.
Même parmi l’UE des 28, la France a la 6è pire mortalité infantile. Elle parvient uniquement à faire mieux que Malte1, la Roumanie, la Bulgarie, la Slovaquie et la Croatie.
Ci-dessous, les graphiques montrent l’évolution de la mortalité infantile en France métropolitaine depuis 1994 jusqu’en 20192. La baisse est franche jusqu’en 2011 qui marque la fin de cette baisse : la mortalité infantile ne sera jamais inférieure. Dans le graphique de droite la moyenne est lissée sur 5 ans afin de gommer les variabilités inter-annuelles, cela a pour effet de décaler l’année de hausse mais permet de mieux visualiser la manière dont la tendance à la baisse a été cassée.
La mortalité infantile se calcule à partir du nombre d’enfants décédés dans leur première année. Une moyenne sur la totalité de la première année peut en fait cacher des disparités et il peut être plus pertinent de regarder la mortalité à la naissance (le 1er jour), pendant la 1è semaine (hors le 1er jour), pendant le 1er mois (hors la 1è semaine) et pendant les 11 autres mois. Nous avons l’évolution de ces différentes mortalités qui est dessinée sur le graphique suivant.
Il en ressort clairement que la mortalité infantile a continué à baisser pour les enfants d’au moins 1 mois, mais de manière plus modérée ces dernières années. En revanche c’est la mortalité dans le premier mois qui a fait repartir la mortalité infantile à la hausse. Que ce soit le premier jour, les 6 jours qui suivent ou les 3 semaines qui suivent, dans les trois cas la mortalité se remet à augmenter depuis plusieurs années. Ainsi, pour ces catégories nous avons retrouvé le niveau de 2005-2006. Dans tous les cas, on observe une inversion de tendance relativement récente : dans ces trois catégories la plus faible mortalité a été atteinte (en moyenne glissante sur 5 ans) en 2014-2015. En résumé voici l’évolution de la mortalité durant le premier mois, qui est le contributeur à l’augmentation de la mortalité infantile.
Une mortalité en hausse dans quasiment toutes les régions
Après avoir posé ce constat de hausse de la mortalité, se pose évidemment la question des causes de cette hausse. Pour tenter d’élucider cela, on peut commencer par se demander si ce phénomène est généralisé ou si on observe des tendances différentes selon les régions.
Voici ci-dessous le pourcentage d’augmentation de la mortalité infantile dans le premier mois entre 2014 et 2019, toujours en utilisant une moyenne glissante sur 5 ans.
On constate alors que la mortalité augmente de 6% à 16% en 5 ans dans quasiment toutes les régions françaises. Seule l’Occitanie fait figure d’exception, car la Corse est peu peuplée ce qui induit des variations inter-annuelles importantes et les DOM sont à des niveaux de mortalité infantile encore très élevés : environ 5,7 pour 1000 dans le 1er mois contre 2 à 3 pour 1000 dans les autres régions françaises. L‘évolution pour les autres régions peut être observé ici.
On peut également regarder à une plus petite échelle géographique, car faire de grands agrégats peut avoir tendance à gommer les différences plus locales. Revenons donc aux anciennes régions françaises. Là aussi la tendance est à la hausse.
On peut explorer les différents cas ci-dessous. On remarquera que la Bourgogne est effectivement en baisse, mais celle-ci est pour l’instant limitée à 2019, ce qui est un peu tôt pour conclure. En revanche le Lanquedoc-Roussillon est plutôt sur une tendance baissière depuis plusieurs années.
Malgré ces quelques cas isolés, cela semble montrer que l’augmentation de la mortalité infantile durant le premier mois concerne une grande partie, si ce n’est la totalité, du pays. Une telle diversité géographique, spécifique à notre pays, puisqu’on ne retrouve pas de telles tendances chez nos voisins, ne paraît pas compatible avec une explication environnementale.
Cette mortalité avant 1 mois, dite mortalité néonatale, a connu une progression particulièrement atypique en France par rapport à ses voisins européens.
La France avait le plus faible taux de mortalité néonatale au milieu des années 1990, ex-aequo avec la Suède. Depuis 2012 jusqu’à 2019, le taux de mortalité néonatale augmente sans discontinuer, passant de 2,2 décès pour 1 000 naissances à 2,7 décès (soit le niveau du début des années 2000). Nous sommes donc au même niveau que 20 ans auparavant, malgré les progrès médicaux. Le taux de mortalité néonatale de la France est désormais le 20è dans l’UE des 28.
On voit mieux cette évolution de l’an 2000 jusqu’à 2019 sur le graphique suivant, en base 100, où tous les pays ont été ramenés initialement au même point pour mieux visualiser leurs progrès respectifs.
On constate que la Suède (trait en pointillés espacés orange), qui avait le plus faible taux de mortalité néonatale en 2000, a malgré tout vu ce taux continuer à baisser de 40% jusqu’en 2019.
Si on refait le même graphique mais en commençant cette fois en 2010, on constate à nouveau que la situation française est atypique.
Seule la Grèce a connu une hausse plus marquée sur la période, mais de manière transitoire. Cette hausse est bien documentée et due aux politiques d’austérité. La situation danoise est également à relever car elle a connu une hausse moins marquée, mais néanmoins de plusieurs années, de sa mortalité néonatale.
Silence médiatique sur l’augmentation de la mortalité infantile
Les éléments que je mentionne sont disponibles publiquement. Pourtant ils n’ont fait l’objet d’aucun traitement médiatique. Le fait que le mortalité infantile en France soit actuellement au même niveau que la Pologne ne mériterait-elle pas quelques articles ? Que la mortalité infantile en France soit actuellement supérieure de 50% à celle de l’Espagne alors que nos taux de mortalité étaient encore identiques 12 ans auparavant ne devrait-il pas susciter un débat ? Si nous avions continué à avoir le même taux de mortalité infantile que l’Espagne ce sont près de 700 enfants de moins d’un an qui ne seraient pas morts en 2019.
Lors de la publication en 2018 d’un document de l’Insee portant sur la mortalité infantile, de nombreux articles ont été publiés. Néanmoins le cadrage de ces articles a été grandement influencé par la forme de ce rapport, qui titrait sur une stabilité de la mortalité infantile. Titre qui fait mine de ne pas se rendre compte que la mortalité infantile est passée de 3,45 pour 1000 en 2011 à 3,72 pour 1000 en 2016, d’après les chiffres pourtant présents dans ce même rapport. De même l’information que la mortalité infantile continue à baisser dans le reste de l’UE est bien présente dans le rapport, mais pas spécialement mise en avant par l’Insee, ni par les médias qui le reprenne. Si certains articles se demandent pourquoi la mortalité infantile ne baisse plus (sans oser demander pourquoi elle augmente) ou interroge un médecin à ce sujet, aucune réponse claire n’est apportée.
C’est évidemment la question majeure : quelles sont les raisons pouvant expliquer une telle évolution ? Puisqu’il s’agit d’une spécificité française, on peut formuler l’hypothèse que la politique de santé publique française puisse avoir un rôle. On sait par exemple qu’il existe de plus en plus de déserts médicaux ou qu’il y a de plus en plus de femmes se trouvant à plus de 45 minutes d’une maternité. Ce ne sont probablement pas des mesures qui vont améliorer la santé, ni la mortalité infantile. Lors des mesures imposées par le FMI et l’UE, la Grèce avait d’ailleurs connu une augmentation de sa mortalité infantile dans des proportions semblables à celles que nous connaissons. Est-ce que les politiques de santé publique dans notre pays, visant à réduire les coûts à tout prix, suffit pour autant à expliquer les évolutions constatées ? N’existe-t-il pas des évolutions similaires dans l’accès aux soins dans d’autres pays ? Comment enrayer cette évolution de la mortalité infantile ? Ce sont autant de questions auxquelles je n’ai pas les moyens de répondre. Il est plus que temps que des enquêtes sérieuses soient conduites, que le sujet fasse enfin irruption dans le débat public. Ne laissons par mourir ces enfants dans l’indifférence.
Suite à cet article, Libération a écrit un bon article sur le sujet, interrogeant divers épidémiologistes qui reconnaissent l’insuffisance des connaissances sur le sujet. D’autre part, LCI et France info ont également publié des articles semblant remettre en cause la réalité d’une hausse de la mortalité infantile.
Mises à jour
- 26/11/2021 : Ajout de la partie sur les comparaisons internationales de la mortalité néonatale et des articles abordant le sujet, suite à ce billet.
- dont ce triste record semble être au moins en partie dû à l’interdiction de l’avortement, y compris pour des raisons médicales [↩]
- les données pour 2020 sont disponibles mais non incluses car la pandémie a pu accroître la mortalité infantile, en raison de la saturation des capacités hospitalières ou du risque accru de mortinatalité chez des femmes ayant le Covid, ou la réduire par une baisse du nombre de prématurés [↩]
2 comments for “La mortalité infantile augmente en France”