Depuis les années 1950, l’évolution des méthodes de production dans l’agriculture a permis des gains de productivité conséquents. La productivité horaire dans l’agriculture a été multipliée par plus de 40 depuis 1950! Ce sont ces évolutions qui ont amené à un exode rural et une urbanisation de nos campagnes.
Ces nouvelles techniques sont, entre autres, le recours massif aux machines, l’irrigation, le drainage, la culture sous serre, l’apport d’engrais et de produits phytosanitaires (pesticides, fongidices, …), ou la débocagisation.
Consommation énergétique
L’agriculture intensive est d’abord polluante parce qu’elle nécessite de grandes quantités d’énergie (pour faire fonctionner les machines, pour produire les engrais, par exemple). En 1997, chaque étatsunien avait indirectement besoin d’environ 10 barils de pétrole1 pour se nourrir, soit environ 1500 litres de pétrole. Nous disons souvent que les étasuniens sont de grands consommateurs d’énergie. Cela n’est pas vrai en ce qui concerne l’agriculture. En Europe occidentale nous consommons plus d’énergie pour produire de la nourriture car nos surfaces disponibles étant moins vastes, nous cherchons à avoir des rendements plus élevés à l’hectare. L’agriculture contribue donc à la pollution car elle requiert de l’énergie, dont on a vu que les méthodes d’extraction peuvent être très polluantes et qui, de plus, provoque un réchauffement climatique. Cela est loin d’être négligeable car l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre liées à la production de l’alimentation en France représente quasiment un tiers du total.
Débocagisation
Les problèmes de l’agriculture ne résident pas seulement dans l’utilisation massive d’énergie. La culture intensive nécessite l’existence de vastes surfaces de culture ne comportant aucun obstacle (arbuste, taillis, haies, …) afin d’être facilement traités par de grandes machines et afin de minimiser le plus possible les surfaces « non productives ». Mais l’absence de bocage favorise le ruissellement de l’eau et donc l’érosion des sols. Cela implique donc plus d’inondations, des risques aggravés de coulées de boues, un ruissellement des nutriments préalablement déposés sur le sol, …
Utilisation d’engrais
L’utilisation massive d’engrais vise à assurer un apport de nutriments aux plantes. Le sol ayant été abondamment exploité, il n’en possède plus suffisamment. Bien sûr l’utilisation d’engrais chimiques n’est pas sans risque pour l’environnement. Ils acidifient les sols. L’utilisation massive d’engrais amène à la présence de nitrates dans les cours d’eau et, à la fin, dans les mers et océans. Cette présence de nitrates favorise la présence d’algues vertes, nocives pour la faune, et appauvrit les zones aqueuses (lac, mers, …) en oxygène ce qui est évidemment dommageable pour ses habitants (voir aussi un compte rendu d’un rapport de l’ONU). Des chercheurs ont étudié de nombreux lacs et ont observé que les nitrates dissous favorisent la présence de certaines plantes au détriment des autres, et donc moins de biodiversité, au détriment de toute la chaîne alimentaire. Le même article pointe les errements des politiques qui agissent pour la santé des humains mais ne prennent pas en compte les effets que peuvent avoir les nitrates à plus long terme: « En Grande-Bretagne, par exemple, les restrictions gouvernementales stipulent que les nitrates dans l’eau ne doivent pas dépasser 10,3 milligrammes par litre, en raison des effets sur la santé humaine. Mais des niveaux de 2 à 3 milligrammes par litre peuvent éradiquer la quasi totalité des espèces des lacs peu profonds. »
Une autre étude se concentrant sur les effets sur l’humain, note que les forts taux de composés azotés dans l’air ou dans l’eau provoquent des affections respiratoires, des maladies cardiaques, des cancers et augmente la production de pollens allergènes, …
Un rapport de la cour des comptes accuse explicitement: « les cours d’eau et les nappes de Bretagne sont aujourd’hui fortement dégradés par l’activité agricole, au point qu’une prise d’eau sur trois contrevient aux normes de qualité fixées par la réglementation. » et critique les pouvoirs publics qui ont peu agi pour limiter cette pollution. Il faut les comprendre! Limiter la pollution, ça serait prendre le risque de limiter la production agricole et donc limiter la croissance. Sacrilège!
En revanche, s’il y a bien quelqu’un qui paye le prix de ces pollutions, c’est le contribuable: « la charge financière de ces actions a été, soit supportée par l’ensemble des collectivités concernées, au premier rang desquelles figure l’État, soit reportée sur les consommateurs d’eau par le prix qui leur était facturé. ». C’est une conséquence de la recherche de profits: réaliser son bénéfice au détriment de l’environnement et laisser la collectivité assumer la charge de la dépollution. Une étude en Angleterre et aux Pays de Galles y estime le coût de l’eutrophisation à 77 millions de dollars par an en raison, entre autres, du traitement de l’eau potable et des effets sur le tourisme.
Enfin alors que la consommation d’engrais est au plus haut (181 millions de tonnes en 2013), la production par tonne d’engrais utilisée reste à peu près constante depuis le milieu des années 1970, entre 10 et 15 tonnes de céréales par tonne d’engrais utilisée.
Utilisation de pesticides
Pour éviter la perte de récoltes due à des maladies ou à des prédateurs, l’agriculture recourt massivement aux pesticides. Mais cette utilisation pose problèmes. D’abord parce que certains « indésirables » présentent une résistance aux pesticides de la même façon que certaines bactéries résistent aux antibiotiques. Ensuite parce que les effets des pesticides sur la santé, et a fortiori l’effet d’un cocktail de pesticides tel que nous en consommons quotidiennement, restent mal connus.
En termes financiers, Jules Pretty pointe une étude de Norse et al, de 2001, qui estime à 1,4 milliards de dollars le coût annuel de l’utilisation des pesticides pour la production de riz en Chine. Ces coûts recouvrent les implications sur la santé ainsi que la perte de biodiversité induites par l’utilisation de pesticides. Au Royaume-Uni, dans les années 90, le coût de la contamination de l’eau potable par les pesticides était estimée à 120 millions de £ par an. En prenant les effets négatifs de l’agriculture intensive dans sa globalité, les auteurs de la précédente étude estime à plus de 2 milliards de £ le coût par an de l’agriculture au Royaume-Uni!
Les pesticides ont aussi des conséquences sur des animaux ou végétaux qu’il n’est pas souhaitable d’éliminer. Alors que les abeilles jouent un rôle déterminant dans la pollinisation des végétaux, elles sont menacées par l’utilisation d’insecticides (voir plus loin).
Comble du cynisme, cette pollution de l’eau bénéficie aux multinationales qui peuvent alors en profiter pour vendre des technologies évoluées permettant la décontamination de l’eau. Non seulement l’agriculture intensive et les pesticides produisent de la croissance (et de la pollution) mais en plus ils en engendrent davantage en nécessitant la décontamination de l’eau. Une autre solution consisterait pourtant à encourager les agriculteurs à passer à l’agriculture biologique afin d’alléger les traitements de l’eau et ainsi dépenser moins de ressources inutilement. Cette stratégie a été fructueuse à Munich où la qualité de l’eau est très bonne alors qu’elle ne subit aucun traitement.
Déforestation
Jacques Le Guen, député UMP du Finistère, chargé d’un rapport sur la déforestation note que la déforestation se chiffre à 13 millions d’hectares par an, soit l’équivalent de la surface de l’Angleterre. La forêt a une importance primordiale dans la fixation du CO2 mais également pour la préservation d’espèces animales ou végétales. En cela, les forêts constituent de véritables réservoirs.
La déforestation est responsable de l’émission d’une importante quantité de gaz à effet de serre en raison du CO2 qui a été fixé pendant des dizaines voire des centaines d’années par les arbres brûlés (et non remplacés). Loin d’être négligeable au niveau mondial, la déforestation représente 16% des émissions mondiales de CO2.
Mais pourquoi en vient-on à déforester massivement tout autour du monde? Pour une raison assez simple. Une forêt, souvent ancienne, est assez peu rentable et ne permet pas de faire beaucoup d’argent rapidement. Idéalement, si on souhaite exploiter une forêt, il faut l’exploiter durablement et donc replanter ce qui a été détruit, et ne pas l’exploiter plus rapidement que la capacité de pousse des arbres ne le permet. Bref, une exploitation durable nécessite une certaine patience et demande aussi de limiter son envie de profit à court terme.
Et encore le reboisement n’est pas toujours une assurance d’une gestion durable de la forêt. On peut difficilement considérer comme durable le fait de déboiser une forêt primaire qui a stocké du dioxyde de carbone pendant des centaines d’année et qui abrite un écosystème riche, pour la remplacer par des palmiers à huile, très lucratif2 pour la production d’agrocarburants ou dans l’industrie agro-alimentaire. Les régions tropicales, où les forêts étaient très développées, se convertissent largement à la culture de l’huile de palme attirées par les substantiels revenus à court terme que laissent entrevoir les industries agro-alimentaires ou la montée du prix du baril de pétrole.
Infertilité des sols
L’agriculture intensive n’est pas seulement nocive par les pollutions qu’elle engendre sur l’environnement mais aussi par l’infertilité qu’elle provoque sur les sols. Un exemple marquant se situe au Proche-Orient. Le Proche-Orient est le berceau de l’agriculture, c’est là que l’humanité a commencé à développer l’agriculture, une dizaine de milliers d’années plus tôt dans une zone appelée le croissant fertile. Or ce croissant fertile n’est plus. D’après le programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), la perte de cette zone fertile et des marais en particulier est due à la construction de nombreux barrages (par exemple sur le Tigre et l’Euphrate) et aux installations de drainage. Une première raison de l’infertilité des sols est donc l’accaparement des ressources en eau par certains pour accroître leur profit.
Un rapport de l’organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) s’intéresse à la dégradation des sols. Il chiffre à 35 millions de km² la surface terrestre subissant une dégradation des sols (soit 23,54% du territoire). Cette dégradation affecte plus de 1,5 milliards de personnes.
La déforestation, afin de disposer de grands champs sans aucun obstacle, est une des causes à l’érosion des sols. Par exemple aux États-Unis d’Amérique, les états de l’Utah et du Montana sont passés d’une couverture au sol de 100% à moins de 1%, les taux d’érosion s’y sont alors accrus par un facteur 200. Lorsque les sols s’érodent, jusqu’à 90% des nutriments qui le composent sont également perdus, rendant alors d’autant plus indispensable l’utilisation d’engrais chimiques. Environ un tiers des terres arables de la planète ont été perdues à cause de l’érosion, mais ce chiffre masque de grandes disparités puisqu’au Mexique se sont environ 80% des terres qui souffrent de l’érosion.. En raison de la dépense d’énergie nécessaire pour compenser l’érosion des sols (ajout d’engrais, irrigation), et des dépenses hors agriculture (dragage des sédiments dans les cours d’eau, eutrophisation, inondations, …), le coût de l’érosion des sols était estimée aux États-Unis d’Amérique en 1992 à 72 milliards de dollars, et à 650 milliards de dollars3 pour le monde entier.
Une illustration de l’érosion des terres sur la production agricole est la production de céréales dans le monde. Dans la figure ci-dessus nous pouvons observer que la production de céréales par personne dans le monde n’est pas supérieure à ce qu’elle était à la fin des années 1970. Et encore, la hausse de la dernière décennie est due à l’intérêt qu’ont connus les agrocarburants en raison de la hausse du prix du baril de pétrole, comme nous le verrons prochainement quand nous aborderons la question des biocarburants.
Disparition des abeilles
L’importance des abeilles pour l’environnement et donc pour notre vie est phénoménale. Il s’agit de la principale espèce pollinisatrice et permet la vie de plus de 80% des espèces sauvages ou cultivées. Or, ces dernières années, beaucoup d’abeilles meurent et des ruches sont décimées. Aux États-Unis d’Amérique, les apiculteurs enregistrent environ 30% de pertes chaque année depuis 2007, ce qui nécessite donc de reconstituer les colonies sans quoi elles disparaîtraient très rapidement.
L’effet sur les abeilles de certains pesticides (de la famille des néo-nicotinoïdes), tels que le Gaucho ou le Cruiser, ne fait aucun doute. Ces pesticides peuvent être létaux pour les abeilles ou, à plus faible dose, avoir des effets sur les capacités d’apprentissage et de mémorisation des abeilles. Néanmoins les expériences menées n’ont pas été faites sur les doses, moins importantes, auxquelles sont confrontées les abeilles dans les champs. Cependant les doses pourraient augmenter avec l’accumulation de ces pesticides dans l’environnement. Comment de tels pesticides ont pu être commercialisés malgré leur apparente nocivité ? C’est un savant mélange d’incompétences, de lobbying et de conflit d’intérêts qui a conduit à mener des expérimentations inappropriées afin de permettre la commercialisation de ces produits chimiques.
Plutôt qu’une seule cause expliquant ces taux de mortalité important, il est possible que diverses causes soient à l’œuvre. Parmi les différentes possibilités on peut citer : les interactions entres pesticides et fongicides qui causent des dommages au développement et à la survie des abeilles; les interactions entre un champignon microscopique et de très faibles doses d’insecticides, l’association d’un virus et d’un parasite de l’abeille.
Comme on pouvait s’y attendre, certains employés de producteurs de pesticides n’hésitent pas à tordre la réalité pour tenter de disculper entièrement les insecticides.
Produits chimiques
Le problème des produits chimiques ne se limite pas aux seuls pesticides et engrais. Leur utilisation dans notre industrie nuit à l’environnement, la biodiversité et donc à notre santé.
Le programme des Nations Unies pour l’environnement a produit un rapport sur le sujet. Il rappelle de façon particulièrement rassurante que sur les 140000 produits chimiques utilisés dans le monde, seule une petite fraction a été testée pour sa toxicité.
Le coût total de l’utilisation des produits, en raison de leurs impacts sur l’environnement et la santé est estimé à 236 milliards de dollars. En Afrique sub-saharienne seule, les coûts sont estimés à 4,4 milliards dollars soit la quasi totalité du montant, de 4,8 milliards de dollars, de l’aide au développement en matière de soin (hors SIDA). Ces coûts ne sont évidemment pas supportés par les entreprises, qui font du profit sur la création de produits chimiques, mais par l’ensemble de la société.
Parmi les recommandations du PNUE, figure notamment une moindre utilisation de produits chimiques dans l’agriculture. Cela ne constitue pas nécessairement une perte de rendements, puisqu’en Équateur, une hausse de la production, une baisse des coûts, ainsi qu’une amélioration de la santé ont pu être notés.
Prochaine partie sur les risques liés à l’alimentation. À suivre…
Mise à jour
- 24/04/2014 : Ajout d’une donnée sur la consommation d’engrais et son impact sur la production de céréales.
- Au prix actuel du baril du pétrole, cela représente un coût d’environ 1100$ [↩]
- Ils produisent 38% de l’huile végétale mondiale en n’occupant que 5% de la surface dédiée à la production d’huile végétale. [↩]
- Les prix en dollars ont été convertis en dollars de 2012. [↩]
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