Idée reçue : les salariés coûtent trop cher en France

Peugeot-Citroën (PSA) va supprimer des milliers de postes en France. Pour justifier cela le PDG, Philippe Varin, n’a pas hésité à mettre en cause le coût du travail qu’il faudrait baisser de « manière massive ». Pour appuyer sa démonstration rien de tel qu’un gros mensonge : la France serait le pays avec « le coût du travail le plus cher en Europe ». C’est évidemment faux et ça a été démontré à différents endroits (par europe1.fr ou le blog des décodeurs de lemonde.fr1).

Pourquoi s’intéresser à cette question alors que tout a été dit et que le mensonge a été débusqué (même s’il n’a pas été nommé) ? Parce qu’il manque de l’information pour faire une comparaison juste des coûts du travail.

Ne pas comparer les coûts seuls

Les deux articles de europe1.fr comme lemonde.fr (mais ce ne sont pas les seuls) s’intéressent au coût du travail, c’est-à-dire au coût moyen d’un salarié pour une heure de travail. Très bien. Mais cet indicateur montre le coût mais ne donne aucune idée de ce qu’on obtient pour ce coût-là. C’est un manque très fréquent dans ce type de débat. Le plus connu étant le débat sur les dépenses de l’État. L’État dépenserait trop par rapport à ses voisins. Or ces dépenses sont faites pour rendre des services. Il faut donc mettre les services rendus en face des dépenses, sinon la comparaison n’a aucun intérêt.

nicolasconnault — CC BY SA NC — Flickr

Pour illustrer cela, imaginons qu’on veuille comparer les prix de deux boulangeries. Je ne comparerai pas uniquement ce que j’ai dépensé dans chaque boulangerie mais ce que j’ai eu pour l’argent dépensé. Par exemple en dépensant la même somme, pour la même commande, une des deux boulangerie a pu offrir un croissant…

Revenons à notre coût du travail. Que peut-on mettre en face des coûts du travail ? Ce que produit le salarié. C’est là qu’intervient le coût salarial unitaire : le coût d’un salarié pendant une heure divisé par ce qu’il a produit pendant cette même heure.

Coûts salariaux unitaires en Europe

Rendons néanmoins hommage à Samuel Laurent qui parle bien des coûts salariaux unitaires à la fin de son article. Il cite un article d’Olivier Bouba-Olga et montre ainsi que la progression des coûts salariaux unitaires n’est pas plus importante en France que dans le reste de l’Europe ou de l’OCDE. La seule particularité vient de l’Allemagne qui a eu une progression plus faible. C’est intéressant mais la progression ne dit rien du niveau auxquels sont arrivés les coûts salariaux unitaires dans les différents pays.

Ici, je vais donc m’intéresser aux données « brutes ». Quel est le niveau du coût salarial unitaire dans chaque pays d’Europe ? Pour cela, la Banque centrale Européenne nous fournit les données nécessaires. Commençons par regarder le niveau du coût salarial unitaire dans chaque pays en 2011.

Coût salarial unitaire, en 2011, tous secteurs confondus. Le coût salarial unitaire en Europe va de 0,48 pour la Slovaquie à 0,99 pour la Roumanie. La France est à 0,65.Premier constat : à part quelques extrêmes, les coûts salariaux unitaires sont assez proches en Europe. En prenant une marge de ±10% autour du coût français on obtient une fourchette regroupant la majorité des pays et allant de la Lituanie à la Belgique. Cette fourchette inclut la plupart de nos voisins hormis le Royaume-Uni, qui a un coût plus élevé. On notera aussi que la Grèce, l’Italie et l’Espagne ont des coûts légèrement moins élevés que la France, sans que cela semble constituer un réel avantage pour eux.

Mais les coûts salariaux peuvent varier selon les secteurs d’activité et certains secteurs sont peu facilement délocalisables. Pour ces secteurs, le coût salarial n’a donc pas vraiment d’importance (pensons par exemple à la restauration, l’hôtellerie, le transport, …). Nous allons donc nous concentrer sur l’industrie manufacturière, ce qui devrait particulièrement intéresser Philippe Varin, le PDG menteur de PSA. Quels sont les coûts salariaux unitaires dans ce secteur d’activité ?

Coût salarial unitaire, en 2010 en Europe, dans l'industrie manufacturière. Ce coût va de 0,32 en Irlande à 0,93 au Luxembourg. Les coûts en France sont plus faibles qu'en Allemagne, Italie, Espagne ou Raoyaume-Uni.Les disparités sont bien plus marquées ici, car on passe du simple au triple entre l’Irlande (0,32) et le Luxembourg (0,93) ! La France, ici non plus, ne s’illustre pas avec des coûts supérieurs à ses voisins, au contraire. Tous ses voisins sauf la Belgique ont des coûts supérieurs (Royaume-Uni, Allemagne, Italie et Espagne).

Enfin, on ne peut que remarquer les coûts scandaleusement faibles de l’Irlande. Cela permet de bien réaliser en quoi consiste son odieuse politique de dumping fiscal vis à vis de l’industrie manufacturière (mais pas seulement) pour attirer à elle les entreprises d’Europe.

Conclusion de cette affaire : M. Varin, il va falloir trouver d’autres excuses pour expliquer les licenciements et fermeture d’usine. Certes, ces raisons risquent d’être moins flatteuses pour vous, et il faudra bien évoquer des stratégies qui n’étaient peut-être pas totalement pertinentes. Il paraît que les hautes rémunérations des PDG sont la justification de leurs grandes responsabilités. Il est temps de les prendre mon garçon…

PS : Ayons une pensée pour David Cameron, lui qui pensait attirer les entreprises françaises doit se rendre à l’évidence : les coûts salariaux unitaires sont bien plus élevés dans son pays qu’en France. En d’autres termes, tu peux te brosser David…

  1. On notera au passage le doux euphémisme de Samuel Laurent : Philippe Varin ne ment pas, il « exagère » []

2 comments for “Idée reçue : les salariés coûtent trop cher en France

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