En ces temps de palabres sur une baisse de 6 centimes du prix de l’essence, ayons une vision un peu plus large sur ce problème. Regardons dans sa globalité l’importance du pétrole dans notre économie, la baisse de 6 centimes en paraîtra d’autant plus marginale.
Notre dépendance au pétrole
Notre société consomme beaucoup de pétrole. Environ 89 millions de barils par jour, pour le monde entier. Un baril contenant 159 litres, cela nous fait la bagatelle de 14 milliards de litres de pétrole par jour. Incontestablement c’est beaucoup. Mais beaucoup comment ? Dans quoi pourrait-on stocker ces fichus 14 milliards de litres de pétrole ?
Prenons le bâtiment le plus haut au monde. Le Burj Khalifa à Dubai, il fait 828 mètres de haut et 309 473 m². En supposant que les étages fassent en moyenne 5 mètres de haut, cela nous donne un volume de 1 547 365 m3 soit de quoi stocker environ 10% de notre consommation journalière, une paille. Autrement dit ce sont 10 Burj Khalifa qui seraient nécessaires au stockage de la consommation journalière mondiale de pétrole.
Ça, c’est pour le volume. Mais l’énergie des ces 89 millions de barils de pétrole représente 540 millions de milliards de joules, soit 2 bombes nucléaires Tsar1, les plus grosses bombes produites à ce jour ou encore l’équivalent de l’énergie physique produite2 par près de 300 milliards d’humains (en grande forme).
En France, nous consommons environ 1,8 million de barils de pétrole par jour, soit 286 millions de litres par jour. C’est plus de 10 fois la consommation d’eau minérale en France ! Ou encore de quoi remplir 72 arcs de triomphe tous les jours (en supposant que ce soit un arc… sans gros trou au milieu) !
Mais notre dépendance au pétrole ne se mesure pas qu’à la quantité de pétrole consommé. Ce n’est même que la partie émergée de l’iceberg. Une raison à cela est que la consommation d’énergie dans les transports est à 93 % satisfaite avec du pétrole. Que deviendrait notre monde actuel sans transport ? Pas de tourisme, pas (ou peu) de nourriture, pas de biens importés ou exportés, pas d’étalement urbain, … C’est pourquoi nous pouvons dire que nous sommes extrêmement dépendant au pétrole : celui-ci est ultra-dominant dans un secteur incontournable, le transport.
Mais ce n’est pas le seul secteur. L’agriculture aussi. L’agriculture ? Hé oui, nous « mangeons » du pétrole (et du gaz). Dans les champs, les machines (tracteurs, moissonneuses, …) sont bien plus efficaces que les animaux mais elles requièrent du pétrole. L’agriculture étant largement mondialisée, elle repose également sur des imports et exports trans-nationaux, et donc sur le transport. Une illustration de cette dépendance est le lien que l’on peut observer entre le prix du baril de pétrole et le prix de la nourriture (ce qui est aussi dû au fait qu’on utilise la nourriture, les céréales en particulier, comme substitut au pétrole).
N’oublions pas non plus que notre dépendance au pétrole est coûteuse. Très coûteuse. Entre l’année 1999 et l’année 2011 le prix du baril est passé de 24,17 $ à 111,26 $, à dollars constants. Comme nous consommons en France 1,8 million de barils de pétrole par jour, cela représente un surcoût à l’année de plus de 57 milliards de dollars, soit une quarantaine de milliards d’euros. Cette explosion du prix du baril correspond à une augmentation d’environ 1 500 € par ménage et par an. Ça en fait des 6 centimes par litre d’essence ! Mais bon le prix va bien finir par baisser, non ? Euh…
Le prix va baisser
Certains pensent que le prix du pétrole n’a aucune raison d’être aussi élevé et devrait prochainement baisser. Il est d’ailleurs intéressant de se plonger dans d’anciennes prédictions sur le baril du pétrole. The Economist le voyait chuter vers les 5$, ce qu’il n’a jamais fait. La banque mondiale, elle, a fait des prévisions pour la décennie 2001–2010 dans lesquelles elle voyait le prix du baril rester en dessous de 20 $ alors qu’il a (presque) toujours été largement au dessus. Plus récemment, en janvier 2009, un « cabinet indépendant » pensait que les prix s’affaibliraient, ils ne sont toujours pas repassés sous leur niveau de l’époque… Cela marque un déni de réalité. Nous savons que la quantité de pétrole sous nos pieds est limitée. Il y aura donc forcément un moment où n’en aurons plus et, bien avant cela, un moment où tout le monde ne pourra plus satisfaire son besoin de pétrole. Mais nous ne voulons pas voir la réalité. Les trois exemples précédents le montrent. Mais la réaction des médias lors de l’augmentation du prix de pétrole pendant la décennie précédente en est aussi une bonne illustration : ils privilégiaient une explication conjoncturelle (météo, guerre, grève) à une explication tendancielle (pétrole plus difficile à extraire).
Si au début des années 2000 l’OPEP (l’organisation des pays exportateurs de pétrole) pouvait avoir une réelle influence sur les prix du pétrole, cette époque semble désormais révolue. En septembre 2000, l’OPEP promet de stabiliser les prix aux alentours de 25 $ et par la suite les prix baissent effectivement, un peu trop au goût de l’OPEP qui prend alors la décision de diminuer sa production. Ensuite les prix ne cessent de grimper mais les médias ne font plus référence à la production pour expliquer cette hausse mais ils ont recours, le plus souvent, à la géopolitique. En 2004 avec des problèmes au Nigeria, une guerre en Irak, une tempête dans le golfe du Mexique et, malgré l’OPEP qui peut augmenter sa production, on atteint déjà les 50 $. L’ouragan Katrina met le baril à 70 $ en août 2005, puis monte à 78 $ près d’un an après, en raison des tensions aux proche et moyen Orient et au Nigeria. Mais alors on a du mal à comprendre pourquoi avec une crise souveraine dans l’union européenne et une hausse des quotas de l’OPEP, les prix du pétrole ne baissent qu’à 105 $ en décembre 2011 : avec une situation bien plus défavorable (guerres, tempête), ils étaient uniquement à 50 $ en 2004 ! De manière similaire, les tensions avec l’Iran de ces derniers mois sont elles à mettre sur le même plan que la guerre en Irak ou que la guerre en Libye pendant laquelle le baril était aussi aux alentours des 120 $ ? Ou alors il y a une autre explication : la fin du pétrole bon marché.
Qu’est-ce que du pétrole bon marché ? Du pétrole facile à extraire, en grande quantité. Et forcément un pétrole facile à extraire coûte moins cher qu’un pétrole difficile à extraire.
Un pétrole facile à extraire c’est un pétrole qui se trouve sur terre et pour lequel l’extraction demande assez peu d’effort puisqu’il peut même jaillir tout seul, une fois le puits creusé. Le pétrole difficile à extraire, sur la photo, n’est pas vraiment du pétrole. C’est un mélange de sable et de pétrole. Il faut donc ensuite nettoyer ce sable pour ne conserver que le pétrole. Il faut extraire deux tonnes de sable pour en retirer un baril de pétrole (159 litres). Un pétrole cher, c’est aussi un pétrole qui demande des forages profonds dans l’océan ou un pétrole extrait dans des conditions extrêmes, comme en Arctique, ou encore un pétrole qui est très diffus dans la roche et demande de nombreux forages (dit pétrole de schiste). Et du pétrole cher, on en a de plus en plus, pour la bonne raison que du pétrole pas cher, facile à extraire, on en a de moins en moins. C’est l’agence internationale à l’énergie qui l’a dit, et c’était en 2006.
Cette chasse au pétrole difficile à extraire, ressemble furieusement au toxico qui cherche par tous les moyens à obtenir sa dose. Cette recherche effrénée de pétrole est d’ailleurs symptomatique. Nous sommes en train de faire les fonds de tiroir. Nous avons à peu près fait le tour des gisements facile à extraire. Certains pays ont même entrepris quelques guerres pour mettre la main sur des réserves de pétrole facile à extraire. Il nous reste alors à nous coltiner les extractions polluantes et chères. Le début de la fin en somme. Dans ce contexte, voir que le G7 demande à l’OPEP d’extraire davantage de pétrole est au mieux distrayant, au pire consternant. Ce n’est pas qu’ils ne veulent pas c’est qu’ils ne peuvent pas.
Une fois que l’on a pris conscience que l’ère du pétrole bon marché était terminée, et qu’il allait devenir de plus en plus cher, vient couramment la réaction suivante : on trouvera une solution.
On n’a pas de pétrole… mais des idées ?
Le pétrole a de nombreux avantages. Il est liquide à température ambiante et donc se transporte très bien et cela évite les problèmes d’explosion que l’on peut avoir avec le gaz. Il est très dense en énergie (une soixantaine de litres d’essence permet de faire un millier de kilomètres en voiture).
L’hydrogène est souvent cité parmi les alternatives possibles au pétrole. À tort. L’hydrogène ne se trouve pas sur Terre tout seul, il est toujours associé à d’autres atomes, avec de l’oxygène par exemple dans la molécule d’eau. Il faut donc casser les molécules pour libérer l’hydrogène. Casser des molécules demande de l’énergie, laquelle utilise-t-on ? Par ailleurs il faut pouvoir distribuer l’hydrogène massivement, alors qu’il est explosif et peu dense. Rien à voir avec un carburant liquide, plus sûr et plus facile à distribuer.
Qu’en est-il des autres solutions ? On ne va pas les passer toutes en revue dans le détail : agrocarburants, algues, voitures électriques, … Elles ont toutes leurs faiblesses. Pour les énumérer rapidement on pourra dire que les agrocarburants réduisent la quantité de nourriture disponible et participent à l’augmentation des prix ; l’utilisation d’algues en est pour l’instant à la phase de prototype et il n’existe pas, à ma connaissance, de production conséquente de pétrole par ce biais (plusieurs millions de barils par jour) ; les batteries des voitures électriques, à l’autonomie limitée, nécessitent du graphite, des terres rares, du lithium qui sont en quantité limitée et dont l’approvisionnement pourrait devenir problématique si des milliards de voitures devaient être construites. Ces différents problèmes expliquent que depuis plus d’un siècle les automobiles roulent à l’aide de pétrole. Il n’y a pas besoin d’invoquer une manipulation du lobby pétrolier pour expliquer qu’aucune alternative crédible soit venue remplacer le pétrole. Si l’armée ou un industriel (en particulier un pétrolier) avait eu une solution miracle, il l’aurait mise en œuvre et aurait pu engranger de substantiels profits. Même en cas de solution miracle, le pétrole aurait encore de l’avenir : il est indispensable dans le monde de la pétrochimie pour tous les dérivés de plastique.
Cela ne signifie pas que ces solutions n’auront pas leur place. Elles l’auront nécessairement puisque nous allons manquer de pétrole. Mais cela veut dire que le service rendu sera de moins grande qualité qu’avec le pétrole et nous devrons revoir nos exigences à la baisse : nous pourrons, par exemple, moins nous déplacer, manger moins de viande (gourmande en céréales et donc en pétrole).
Pour prolonger
- Une vidéo de 35 minutes sur la fin du pétrole bon marché, sous titrée en français : There’s no tomorrow
- Une pétition à signer (signalée en commentaire), pour la prise en compte de ces faits dans les politiques : http://tribune-pic-petrolier.org/
- dont les effets se font ressentir à 900 km de distance et qui serait capable de détruire la totalité de la région parisienne [↩]
- en prenant un humain qui grimpe 2km de dénivelée avec 30 kg sur le dos, on arrive à un effort d’environ 2MJ par humain, calculs de JM. Jancovici [↩]
Bel et excellent article !
Et ne pas oublier aussi que le pétrole c’est aussi beaucoup de la géopolitique, et qu’à ce sujet, il est urgent de sortir de l'”image” : Premier choc= Embargo Arabe (ou mouvement agressif de l’OPEP)
Le premier choc était tout simplement la conséquence du pic de production des US en 1971 (voir à ce sujet l’excellent documentaire “la face cachée du pétrole” et les interviews de James Akins en particulier (ancien ambassadeur US en Arabie Saoudite).
Aujourd’hui nous sommes à/atour du pic mondial, choc pétrolier s’il en est un.
A signer et relayer :
http://tribune-pic-petrolier.org/
Merci pour le commentaire 🙂
« c’est aussi beaucoup de la géopolitique » ou c’est aussi beaucoup de la géologie ?
Dans l’exemple donné c’est plus la géologie que de la géopolitique (puisque justement le rôle de l’OPEP était moins grand qu’on ne laisse penser).
En revanche, effectivement ça peut être aussi de la géopolitique (cf. guerres en Irak, en Libye, soutiens aux dictateurs en Afrique, …)
Merci de m’avoir rappelé le lien de la pétition, je l’ai ajouté à l’article
De rien, et pas vraiment de contradiction dans le fait que c’est à la fois de la géologie et de la géopolitique!, mais important de se rappeler que les intérêts des majors et de l’opec n’était(ne sont) pas du tout opposé comme on pourrait le croire, et que si dans “l’imaginaire populaire”, “premier choc=embargo arabe”, de fait la réalité est plutôt “premier choc=pic de production US” (premier producteur de l’époque, 10 millions jours, autour de 5 ou 6 maintenant), et le documentaire d’Eric Laurent (et livre) vraiment excellente synthèse historique.
Bon article, mais pour noircir le tableau il ne faut pas oublier le problème de la surpopulation qui aggravera très rapidement la situation décrite, pourtant bien noire.
Chaque jour, la Terre porte 220 000 habitants supplémentaires, et chaque année ce sont environ 80 000 000 d’habitants en plus. Bien sûr tous n’auront pas accès à “notre” monde, mais l’eau, la nourriture vont rapidement devenir un problème insoluble.
Une (re)lecture du Rapport Lugano de Susan George est toujours éclairante.
http://www.les4verites.com/Le-probleme-de-la-surpopulation-mondiale-4787.html