Nous avons donc vu à travers les différentes thématiques abordées précédemment que la recherche de profit maximum se faisait en baissant les coûts (pour l’entreprise) au maximum. Si cela concerne le coût du travail humain, l’impact environnemental et la qualité des produits, il reste un autre secteur : les impôts. Les grandes entreprises font tout leur possible pour éviter de payer des impôts aux états et pour donner l’argent aux seules personnes qui comptent à leurs yeux : leurs actionnaires.
Le conseil des prélèvements obligatoires (CPO), associé à la Cour des comptes, a publié un rapport en 2007, estimant entre 29 et 40 milliards d’euros la fraude aux prélèvements sociaux et fiscaux (p. 70). Le rapport précise même que cette estimation est une « fourchette plutôt basse ». D’après les estimations du conseil, la majorité de la fraude serait due aux prélèvements fiscaux, même s’il existe une grosse incertitude sur le travail au noir. Voir la figure ci-dessous, pour une répartition des fraudes.
Des fraudes pointées par le CPO, on peut distinguer celles uniquement dues aux entreprises (TVA, travail au noir et impôts sur les sociétés) de celles dues aux particuliers (impôt sur le revenu). Les autres ne peuvent pas nécessairement être placées d’un côté ou d’un autre. Ce que l’on peut néanmoins constater est que l’immense majorité de la fraude fiscale et sociale est due aux entreprises. Elles cherchent par ce biais-là à réduire leurs coûts ou augmenter leurs profits en évitant de payer des taxes.
Néanmoins ce type d’estimation n’est calculé qu’à partir de ce que constatent les contrôleurs du fisc ou des URSSAF. Or si l’argent passe par les paradis fiscaux, les contrôleurs ne peuvent plus rien voir. Il faut donc ajouter à cela le coût que représente l’évasion fiscale.
Un rapport de l’assemblée nationale parle de 15 à 20 milliards d’euros de pertes de recettes fiscales à cause des paradis fiscaux. D’autres l’estiment plutôt à 30 milliards d’euros, avec 600 milliards de fonds qui seraient bien protégés dans les paradis fiscaux. Un récent rapport du Sénat met la barre plus haut parlant d’un coût pour l’État de 30 à 36 milliards minimum et pouvant atteindre 50 milliards. Le syndicat Solidaires Finances publiques estime, début 2013, au total que la fraude (pas uniquement l’évasion fiscale) représente un coût de 60 à 80 milliards d’euros par an.
Il va sans dire que les grandes entreprises ne sont évidemment pas les dernières à s’établir dans les pays aux mœurs fiscales légères. Comme le souligne Alternatives Économiques, les grandes banques françaises et les sociétés du CAC 40 ont bien pourvu ces petits pays de leurs filiales. Les banques sont particulièrement actives dans ce processus d’évasion fiscale (comme BNP Paribas ou UBS). Xavier Harel, journaliste à la Tribune a publié un livre sur les paradis fiscaux. Il y explique que ce sont surtout les grandes entreprises (et non les riches particuliers) qui en profitent.
Le « prix de transfert » est un mécanisme largement utilisé afin d’échapper à l’impôt. Une grande société, mondialement connue, comme Google, ne rechigne pas à passer par les paradis fiscaux pour baisser ses impôts. Une autre société, Apple, générant des profits records a également largement recours à l’exil fiscal pour éviter de payer de l’impôt. On pourrait ajouter à la liste Amazon, Microsoft, Facebook, Ikea, … Tous ces exemples sont emblématiques : les sociétés en cause sont très connues, mais il n’y a pas de raison de penser que de grosses entreprises moins connues n’aient pas recours aux même techniques.
Quelles réactions les États ont-ils face à cette évasion qui les prive d’une partie de leurs revenus ? Ils baissent les impôts sur les sociétés! Ainsi d’après KPMG, dans l’Union Européenne, le taux moyen était de 34,12% en 1999, il est de 23,22% en 2009. Les entreprises mettent en place des systèmes pour augmenter leurs profits en fraudant l’impôt, la seule réaction de l’État est de leur diminuer les impôts! C’est comme si l’État augmentait la limitation de vitesse sur autoroute, constatant que certains la dépassent. Pourquoi continuer à baisser les impôts ? La réponse classique est « mais sinon ils vont fuir ! ». À supposer que cette affirmation soit vraie (ce qui est loin d’être sûr), la réponse est pourtant simple : est-on prêt à renoncer à une centaine de milliards d’euros pour en épargner au mieux une dizaine ?
Très concrètement, regardons ce que tout cela signifie pour les grandes entreprises françaises. Si elles savent bien entendu jouer du prix de transfert, elles connaissent aussi les mécanismes d’optimisation leur permettant d’obtenir des crédits d’impôts (tel que le crédit impôt recherche, par exemple). Avec un savant dosage, les grandes entreprises arrivent à substantiellement faire chuter leur taux d’imposition. Alors qu’en France le taux d’imposition des sociétés est théoriquement de 33,3%, dans la réalité il n’est que de 18,7% pour les grandes sociétés. En particulier, comme l’a fait remarquer Mediapart, alors que les entreprises du CAC 40 ont réalisé 230 milliards d’euros de bénéfices en trois ans entre 2007 et 2009, elles n’ont payé que 10 milliards d’euros d’impôts (soit 4,3%). Ceci n’est qu’une moyenne: 43% des groupes du CAC 40 n’ont payé aucun impôt pendant au moins l’une de ces trois années.
Au niveau mondial, ce sont 6000 milliards de dollars qui seraient placés par des ménages dans des paradis fiscaux, selon G. Zucman doctorant en économie. Le chiffre pourrait même atteindre 32000 milliards de dollars selon une autre étude. Là aussi, la recherche maximale de profit (à titre personnel, cette fois) amène certains à disposer d’énormes fortunes qu’ils placent dans des paradis fiscaux, la cupidité n’ayant pas de limites.
Finalement, la recherche de profit maximal, censée nous amener petit à petit vers des processus de plus en plus efficace ne conduit qu’à la ruine des États. Augmenter ses profits passe inévitablement par la réduction de ses impôts, au détriment de ceux qui bénéficient de la redistribution : les moins riches.
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