La croissance perpétuelle et la recherche de profit qui l’accompagne ont une autre conséquence néfaste. Le profit n’est pas partagé, les inégalités sociales, économiques se creusent.
Inégalités de revenus et patrimoine
Ces dernières années, en France, ce sont les plus riches qui voient leur niveau de vie progresser le plus vite (mais on pourrait aussi considérer les inégalités dans un sens plus large, que restreintes à l’argent). Hé non, la croissance ne contribue pas à réduire les inégalités ou la pauvreté, au contraire et cela dans la plupart des pays de l’OCDE.
À titre d’exemple, aux États-Unis d’Amérique, le taux de pauvreté a peu évolué depuis le début des années 1970 alors que dans le même temps le PIB par habitant y a été multiplié par deux. Autre preuve que la croissance ne contribue pas particulièrement à améliorer la situation économique, en France les 10% les plus riches ont capté près d’un tiers de l’enrichissement du pays entre 1998 et 2008 (contre 2,8% pour les 10% les plus pauvres)1, ce sont même les très riches qui en profitent le plus. Aux États-Unis d’Amérique, la situation est bien pire car sur la même période, la totalité de la croissance n’a profité qu’aux 10% les plus riches. Pendant ce temps, les revenus moyens annuels y ont chuté de 459$. Cette situation n’est pas limitée à ces deux seuls pays car dans beaucoup de pays, les 1% les plus riches ont vu leurs revenus s’accroître plus vite que le reste de la population. Et nombreux sont les pays où les inégalités de revenus s’accroissent. Bien loin de l’idée que la croissance bénéficie à tout le monde, elle sert surtout à accroître la fortune des plus riches.
En 2008 en France, les revenus totaux des 100 plus riches représentent quasiment 3 milliards d’euros et 50 milliards pour les 100000 plus riches. En regardant plus dans le détail, si les inégalités ont stagné pendant une période ce n’est pas parce que les plus pauvres rattrapaient les plus riches, mais les classes moyennes et les classes modestes se rapprochaient tandis que les plus riches s’envolaient…). À ce titre, un facteur explicatif est qu’une plus grande partie de la richesse va aux dividendes, et donc aux actionnaires, au détriment des salaires. Cela peut d’ailleurs être vérifié en comparant l’augmentation de la productivité horaire avec les augmentations de salaires horaires (SMIC ou salaire moyen). Le résultat est très enrichissant (intellectuellement). Le SMIC a progressé plus vite que le salaire moyen (le SMIC est revalorisé automatiquement ce qui n’est pas le cas des autres salaires).
Mais le SMIC et plus particulièrement les salaires moyens ont progressé beaucoup moins vite que la productivité (voir la figure ci-contre). La productivité a donc crû deux fois plus vite que les salaires moyens. Qui a empoché la différence? Quand on s’intéresse au SMIC, aligner celui-ci avec la productivité procurerait un gain d’environ 70 € bruts par mois. Pour les 2,5 millions de smicards à temps plein, cela représente un manque à gagner d’environ 2 milliards d’euros par an. Encore une fois, la situation est pire aux États-Unis d’Amérique. Là-bas, la productivité a crû sept fois plus vite que le revenu médian du foyer. Quant au salaire minimum il devrait être plus de deux fois plus élevé s’il avait crû au même rythme que la productivité.
En France, le niveau de vie de 10% les plus riches (D9 dans le graphique à gauche) continue à augmenter alors que celui des 10% les plus pauvres ou des 10% du milieu stagne voire baisse.
Notons que la situation de la France est loin d’être la pire (même si c’est en France que les inégalités de revenus se sont le plus accrues entre 2007 et 2010). On pourrait au contraire parler des États-Unis d’Amérique, dont on nous a tellement souvent rebattu les oreilles, pour lesquels les statistiques sont proprement affolantes : 400 personnes détiennent 1570 milliards de dollars, soit plus que 155 millions d’américains ; les 74 américains les mieux payés ont gagné autant que 19 millions de leurs compatriotes ; les salaires des 30% les plus pauvres n’ont augmenté que de 10% en 30 ans ; en 25 ans la productivité a augmenté de 71% alors que le salaire médian prenait 14% ; après la récession de 2008/2009, 88% des gains de la croissance sont allés aux profits contre 1% pour les salaires ; 95% des gains de la reprise sont allés aux 1% les plus riches ; les ouvriers non qualifiés ont un revenu équivalent en 2010 à celui du salarié moyen en 1960 et on pourrait continuer longtemps…
Lorsqu’on s’intéresse au monde entier, on s’aperçoit alors que ce sont les 10% les plus riches qui s’accaparent 86% du patrimoine mondial (plus de 75000$ de patrimoine). Pendant ce temps les 50% les moins riches détiennent moins de 1% du patrimoine mondial. Vous avez bien lu. Les 10% les plus riches, pourtant 5 fois moins nombreux que les 50% les plus pauvres, possèdent plus de 86 fois le patrimoine des moins riches. L’Europe et l’Amérique du Nord rassemblent plus de 24 millions de millionnaires en dollars. C’est plus des trois quarts des millionnaires dans le monde, alors que ces deux parties du monde ne représentent que 16% de la population mondiale2.
Réductions d’impôts
Il a déjà été dit qu’une stratégie des états face à l’évasion fiscale est de baisser les impôts sur les sociétés.
Malheureusement, il n’y a pas que l’impôt sur les sociétés. Gilles Carrez, rapporteur UMP du budget à l’Assemblée nationale a produit un rapport extrêmement intéressant en 2010. Il y chiffre les baisses d’impôts réalisées depuis 2000. C’est entre 100 et 120 milliards d’euros par an de recettes qui ont été perdues depuis 2000. Soit plus d’un tiers des recettes de 2010! Par exemple l’impôt sur le revenu a plus rapporté en 2000 qu’en 2009 alors que dans le même temps la population a augmenté et s’est enrichie. Le manque à gagner pour ce seul impôt est estimé entre 33 et 41,5 milliards d’euros. L’impôt sur les sociétés, lui, s’est amoindri de 10 milliards. Là aussi, alors qu’il rapportait environ 37 milliards d’euros en 2000, on n’en était plus qu’à 30,5 en 2009. Enfin le rapport termine en estimant la dette si ces hausses d’impôts n’avaient pas eu lieu (ou si une compensation avait été trouvée): elle aurait été de 54,6% du PIB en 2009 contre 77,4% (soit une différence de… 490 milliards d’euros).
Une étude récente montre bien que les baisses d’impôts prodigués par Sarkozy et Chirac ont profité aux plus riches au détriment des plus pauvres. D’ailleurs des économistes ont mis en lumière l’injustice du système fiscal actuel: les classes moyennes sont celles qui paient proportionnellement le plus d’impôts alors que les très riches sont ceux qui en paient le moins!
Enfin une autre stratégie, ne consistant pas à baisser directement les impôts, revient au même puisqu’il s’agit de créer des exonérations d’impôts dans certaines conditions. Les impôts sont tellement minés par ces « niches » que 53% des 0,01% les plus aisés ont un taux d’imposition sur le revenu inférieur ou égal à 25%. Ces niches fiscales représentent un manque à gagner de 225 milliards d’euros par an pour l’État. Certaines sont probablement très utiles mais d’autres suscitent des effets d’aubaine pour de grandes entreprises cherchant à réaliser de « l’optimisation fiscale ».
Pourquoi ces baisses d’impôts ? Une explication peut être la stratégie dite « starve the beast » (affamer la bête) mise en place par les républicains aux États-Unis d’Amérique, sur laquelle nous reviendrons prochainement. Une autre possibilité est la puissance des lobbies. Leur rôle est la défense d’intérêts privés, souvent au détriment de l’intérêt public. Parmi ces intérêts divergents figure la baisse des impôts réclamée par ces lobbies sous la menace de quitter le pays concerné et donc de supprimer des emplois, peur suprême de tout personnage politique. On peut trouver des lobbies dans tous les domaines : agriculture, tabac, énergie (également aux États-Unis d’Amérique), santé, agro-alimentaire, …
Mises à jour
- 21 janvier 2014 : Intégration des données présentées par l’observatoire des inégalités : « Pendant la crise, les plus riches s’enrichissent ».
- Pendant la période 2008–2011, les 10% les plus riches ont capté 70% de la croissance des revenus, alors que les 10% les plus pauvres ont vu leurs revenus légèrement baisser. [↩]
- Certains affirment qu’on ne peut rien reprocher aux riches car la richesse serait fonction du talent. Cela signifie-t-il que les européens ou nord-américains seraient notoirement plus talentueux que les africains, les asiatiques ou les américains du Sud ? [↩]
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