L’imposture Matadon

Descendre en flammes le bio ou bien défendre le glyphosate et les OGM, tel est le leitmotiv d’un doctorant qui se fait appeler Matadon sur les réseaux sociaux. Il habille tout cela sous un vernis dcee science mais sélectionne en réalité les éléments qui l’arrangent et oublie des pans entiers de connaissance qui ne vont pas dans son sens. En soi, c’est un travers qui nous concerne tous à des degrés divers, mais le problème c’est que Matadon est souvent pris comme référence comme si son avis avait une quelconque pertinence scientifique. La seule pertinence de Matadon est d’illustrer le fonctionnement des stratégies de doute. Passons en revue quelques-unes de ces techniques.

Matadon charge la barque sur le bio à l’en faire couler

D’après vous, qu’est-ce qui est une escroquerie, un désastre pour l’environnement, qui est mauvais pour la biodiversité, donne des cancers et le maladie de Parkinson ? Pour Matadon, la réponse est évidente : le bio !

Bien entendu rien de tout cela n’est établi, au contraire. Sur l’environnement, le GIEC (groupe intergouvernemental d’experts sur le climat) comme l’IPBES (l’équivalent pour la biodiversité) mentionnent le bio comme une des solutions possibles pour améliorer l’état des terres ou de la biodiversité1. Pour autant Matadon n’ose pas remettre frontalement en cause ces affirmations. Le plus simple pour lui est de les ignorer.

Concernant les cancers, il n’existe aucune preuve que le bio puisse accroître le risque de cancer. Au contraire Santé Publique France recommande, si on en a la possibilité, de consommer des aliments bio. Quant aux synthèses de travaux scientifiques sur le sujet, aucune ne mentionne un tel risque. À l’inverse, les preuves pointent plutôt dans le sens d’un effet favorable du bio sur la santé, en raison d’un léger surplus de nutriments et d’une moindre contamination par des substances nocives.

L’alibi Parkinson

Et concernant Parkinson ? Effectivement il existe un pesticide, la roténone, qui était autorisé en bio jusqu’en 2009 et qui a eu des dérogations pour certaines cultures jusqu’en 2011, qui est soupçonné de causer la maladie de Parkinson chez certains agriculteurs l’utilisant. Matadon, visiblement en manque d’exemples plus à jour, a donc eu à piocher dans les archives.

Mais Matadon est-il vraiment si soucieux des maladies de Parkinson qui se déclarent chez les agriculteurs (il s’agit d’ailleurs d’une maladie professionnelle reconnue) ? Non, son seul objet est de taper sur le bio, en utilisant le cas de la roténone. A-t-il jamais parlé du paraquat ? Un herbicide, utilisé uniquement en agriculture non-bio, autorisé au début du XXIè et qui a été interdit en 2007 à cause de sa toxicité et notamment pour son lien avec la maladie de Parkinson. Il n’en a jamais parlé et n’a donc jamais évoqué non plus le fait que la France et la Suisse continuent à exporter cet herbicide vers des pays où il est autorisé.

Et le manèbe, et son proche cousin le mancozèbe ? Des fongicides, eux aussi utilisés exclusivement en agriculture non bio, également soupçonnés de causer la maladie de Parkinson. Si le manèbe n’est plus autorisé, le mancozèbe, lui, l’est encore. D’ailleurs il a également une toxicité aigue avérée pour la vie aquatique, est soupçonné d’être toxique pour la reproduction, est classé cancérogène probable par l’agence étatsunienne de l’environnement, est soupçonné d’être un perturbateur endocrinien d’après une expertise collective de l’Inserm2. Il est notamment soupçonné d’accroître le risque de leucémies et de mélanomes, d’après cette même expertise. Un bien beau CV pour ce fongicide, qui mériterait donc une dénonciation en bonne et due forme de la part de Matadon.

Justement, il évoque à plusieurs reprises ce fongicide… pour le vanter !

Le mancozèbe moins toxique que le cuivre, d’après Matadon. En fait, non.

Alors que le mancozèbe est classé par l’EFSA comme sensibilisant cutané de catégorie 1 (la plus élevée), très toxique pour les organismes aquatiques (catégorie 1) et comme reprotoxique de catégorie 2. La bouillie bordelaise (à base de cuivre), elle, n’a aucune de ces classifications de toxicité. En revanche elle est classée PBT (car le cuivre est persistant et toxique pour l’environnement). Mais le cuivre, lui, dans l’expertise collective de l’Inserm, n’est pas soupçonné d’être lié à la maladie de Parkinson, à des cancers, à des problèmes de perturbation endocriniennes et d’interférer sur le fœtus. Certes, mais ça Matadon ne va pas nous le dire. Non, pour lui le mancozèbe c’est vraiment mieux. Bref, pour Matadon, un pesticide bio interdit depuis 10 ans soupçonné de causer la maladie de Parkinson, c’est le mal. En revanche un pesticide non-bio toujours autorisé et soupçonné de causer la maladie de Parkinson, c’est le bien.

Au-delà des exemples de ces quelques pesticides, Matadon affirme également — plus c’est gros, plus ça passe — que les pesticides utilisés en bio sont autant, voire plus toxiques, que ceux interdits en bio. Étonnant, non ? Oui et, à nouveau, carrément faux. La réponse se trouve de manière très synthétique dans un article publié par Mie et ses collègues en 2017. Les chercheurs comparent les classifications de toxicité entre tous les pesticides (colonne de gauche) et uniquement ceux autorisés en bio (colonne de droite).

Le résultat est sans appel : 10/26 ont une toxicité connue en bio, contre 340/385 pour l’ensemble des pesticides (ce qui inclut ceux autorisés en bio !). Mais peut-être Matadon ne connaissait pas cet article ? On ne peut pas tout savoir. Certes, mais pourtant il le cite explicitement dans les sources de sa vidéo sur le bio. Alors aurait-il sciemment caché des éléments dont il a connaissance mais qui ne l’arrangeaient pas ?

Voilà le moment où est cité cet article dans les sources de sa vidéo. Juste pour le plaisir je traduis la dernière phrase de la conclusion de cet article scientifique et vous laisse comparer avec l’interprétation de Matadon : « la production d’aliments biologiques présente plusieurs avantages documentés et potentiels pour la santé humaine, et une application plus large de ces méthodes de production en agriculture conventionnelle, par exemple dans la lutte intégrée contre les parasites, serait donc très probablement bénéfique pour la santé humaine »

Ces exemples illustrent parfaitement la sélection à laquelle Matadon procède à la fois pour choisir des exemples défavorables au bio et pour travestir ou tout simplement ignorer les informations incluses dans des articles scientifiques qu’il cite.

Sur le cuivre, Matadon ne s’arrête pas là et le pare de tous les maux imaginables. Il est toxique pour l’environnement, les oiseaux, mammifères, insectes et organismes aquatiques nous affirme-t-il. Il affirme aussi qu’il est bien plus toxique pour la santé humaine que le glyphosate.

Une seule source à chaque fois : un pauvre rapport de l’EFSA où l’affirmation est bien présente mais jamais dûment étayée et où il est également dit que les doses actuelles ne devraient pas poser de risque à long terme3. À l’inverse dans l’expertise collective de l’Inserm sur l’effet des pesticides sur la santé, déjà citée, aucune trace de troubles potentiels pour la santé humaine liés à l’utilisation du cuivre. Dans cette autre synthèse sur les efffets des pesticides sur la santé humaine ? Non plus. De même, la seule mention des effets du cuivre (en tant que pesticide) sur l’environnement dans les rapports 2018 et 2019 de l’IPBES sont cette seule phrase, dans le rapport de 2018 : « Insecticides and fungicides have greater effects on soil organisms than herbicides, especially copper-containing fungicides. ». Si vraiment la biodiversité souciait tant Matadon, il devrait plutôt s’intéresser aux néonicotinoïdes que le rapport 2019 de l’IPBES cite explicitement et à plusieurs reprises pour leur rôle néfaste sur la biodiversité sauvage4.

Il devient donc évident que les propos de Matadon ne dépendent pas des atteintes réelles à la santé ou à l’environnement mais des arguments à charge qu’il pourrait trouver pour attaquer le bio.

La biodiversité, un instrument pour défendre ses idées

Cet aspect s’illustre à nouveau lorsqu’on regarde la manière dont Matadon traite de la biodiversité. Pour lui, ce n’est qu’un outil pour continuer à taper sur le bio et défendre le glyphosate et les OGM. Pour Matadon le bio a un impact considérable sur la biodiversité, mais le glyphosate et les OGM c’est bon pour la biodiversité. Non je ne caricature pas, c’est exactement ce qu’il dit. Voici quelques exemples :

Ce ne sont pas uniquement des exemples soigneusement choisis de ma part. C’est une réalité : quand Matadon parle de biodiversité, le bio est le terme le plus souvent présent dans ses tweets et le glyphosate ou les OGM sont parmi les 10 premiers termes les plus employés.

Matadon n’est rien de moins qu’un négateur des connaissances sur la chute de la biodiversité, un marchand de doute sur le sujet. Tout comme les climato-sceptiques parlent climat sans citer le GIEC (ou le dénigrent ou le déforment), Matadon ne cite quasiment pas l’IPBES, ou la déforme.

La seule fois où Matadon cite l’IBPES, c’est pour minimiser le déclin des insectes, bien loin donc des conclusions réelles du rapport, en opérant un glissement entre disparition des espèces (en général) vers la disparition des insectes.

Matadon ne dira jamais que, d’après l’IPBES, 40% des espèces de pollenisateurs sont menacées et que l’IPBES recommande la préservation de la végétation naturelle dans les paysages agricoles et la réduction de l’usage des pesticides nocifs comme les néonicotinoïdes5. Il fait également une confusion entre un nombre d’espèces et un nombre d’individus.

Peut-être Matadon est-il chagriné que l’IPBES ne semble pas porter le glyphosate en considération ? S’il avait eu à cœur de faire une présentation honnête des faits, il l’aurait évidemment mentionné. Matadon n’en pipe mot.

En parlant de biodiversité, Matadon aborde-t-il la sixième extinction des espèces ? Non cette notion n’est jamais évoquée. Elle l’est pourtant dès le résumé du rapport de 2018 de l’IPBES que j’ai déjà mentionné mais que Matadon ne cite pas. Il préfère s’appuyer sur un obscur blog d’un auteur condamné pour diffamation : Seppi, qu’il cite donc plus que l’IPBES.

Comme nous venons de le voir la biodiversité est un prétexte utilisé par Matadon pour aborder ses sujets de prédilection. Les trois sujets favoris de Matadon sont le bio, le glyphosate et les OGM, comme l’illustre les termes qu’on retrouve le plus parmi les tweets de Matadon.

Nous avons déjà abordé le bio mais que raconte-t-il sur les deux autres thèmes ?

La solution magique des OGM

Si l’on suit Matadon il semble que les OGM sont parés de merveilleuses vertus. Il faisait par exemple récemment croire que les OGM Bt permettaient de réduire les quantités d’insecticides épandus. Comme je l’avais relevé sur Twitter, une étude battait cette idée en brèche à partir de données précises en Inde. Matadon se gardera bien de mentionner cette étude, jusqu’à ce qu’un article du Monde l’évoque, il s’est alors senti obligé de faire un thread sur le sujet et critiquera l’étude au milieu de celui-ci (ce qui évite de lui donner trop de visibilité).

Matadon n’ayant pas peur de se contredire, il n’hésite pas à vanter l’intérêt des OGM pour augmenter les rendements, tout en défendant l’idée qu’il n’y a pas d’amélioration de rendements car les OGM actuels ne sont pas faits pour ça. Il semblerait qu’une certaine souplesse argumentative soit nécessaire pour défendre ses idées.

Figure dangereuse, ne faites pas cela chez vous : les OGM augmentent les rendements, mais ils n’ont pas vocation à faire cela dont c’est normal qu’il n’y ait pas d’amélioration des rendements.

Venons-en maintenant au glyphosate, le sujet sur lequel j’ai eu le plus l’occasion de me pencher.

Glyphosate et critique à double tranchant

Au sujet du glyphosate, Matadon veut faire feu de tout bois. Puisque le CIRC a classé cet herbicide cancérigène probable, Matadon fait une vidéo pour critiquer le travail mené par les 18 experts mandatés par le CIRC. Lui qui n’est ni épidémiologue, ni toxicologue, ni statisticien.

Vouloir mener une telle critique confine d’ailleurs au ridicule quand on constate que Matadon a besoin de poser à ses abonnés des questions de statistiques de base pour comprendre l’analyse du CIRC. Dans ces conditions comment croire qu’il serait à même d’effectuer une critique pertinente de l’analyse du CIRC ? Pour autant deux mois plus tard il se met au tournage de sa vidéo, lui qui n’est pas plus compétent qu’un spécialiste des avalanches n’est pertinent pour remettre en cause les conclusions du GIEC. Et donc arrive, ce qui devait arriver : des erreurs de béotien. Par exemple Matadon reproche au CIRC d’avoir pris en compte des tests statistiques cherchant à identifier s’il y a un effet en fonction de la dose (des tests de tendance). Or ce type de tests figure dans les recommandations de l’OCDE que les agences sanitaires doivent suivre. Je lui fais remarquer. Mais de manière intéressante, plutôt que de retourner sa critique contre les agences qui ne respectent pas les recommandations, il continue à formuler la même critique plusieurs mois plus tard sans avoir pris en compte ma remarque précédente.

J’ai également eu l’occasion de relever son double discours où, à longueur de tweets, il assurait que le glyphosate était inoffensif puis quand on reprochait le fait que certains minimisent les impacts du glyphosate, Matadon affirmait tranquillement que personne ne nie ses effets. C’est tellement vrai qu’il a même prétendu qu’il y avait consensus sur l’innocuité du glyphosate !

Pendant des années il n’a cessé de prétendre que le CIRC avait mené une analyse du danger cancérigène sur le glyphosate alors que les agences réglementaires auraient conduit une analyse du risque, ce qui expliquerait les différences d’appréciation. Il répète cela depuis, au moins, novembre 2017 jusqu’en mai 2019. Il affirme même que personne ne nierait les dangers du glyphosate. Or c’est précisément ce que font les agences réglementaires puisqu’elles considèrent qu’il n’y a pas de danger, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’expliquer. Mais finalement, au gré d’un fil de discussion, toujours en mai 2019, il reconnaît qu’effectivement l’EFSA et l’ECHA se sont prononcées sur le danger non le risque. Pour cela il aura notamment fallu que Stéphane Foucart et moi lui expliquions. Pour autant à aucun moment Matadon ne prend la peine de corriger auprès de ses abonnés et de leur expliquer que sa distinction danger/risque entre le travail du CIRC et des agences réglementaires était tout bonnement fallacieuse (et influencée par la stratégie du doute fomentée par Monsanto). C’est notamment cela qui confirme que Matadon n’est pas présent sur les réseaux sociaux pour diffuser des informations scientifiques, mais qu’il ne veut faire passer que certaines informations allant dans son sens.

C’est d’ailleurs un point à noter : les seules études que Matadon critique sont celles qui vont contre son point de vue (c’est-à-dire celles montrant un bénéfice du bio ou des inconvénients aux OGM ou au glyphosate). On l’a déjà évoqué, quant il veut montrer que le cuivre est néfaste pour les animaux, il cite un rapport de l’EFSA sans en faire une critique. A-t-il ressenti le besoin de faire une critique des rapports sur le glyphosate de l’EFSA, de l’EPA, de l’ECHA qui le considèrent sans danger (alors qu’il prétend que personne le nie le danger du glyphposate) ? Non. De critiquer l’étude de l’AHS qui ne trouve pas de lien entre glyphosate et lymphomes non-hodgkiniens ? Non. De critiquer les méta-analyses qui ont trouvé un lien entre glyphosate et certains cancers. Oui, oui, oui6. Quand l’EPA sort un rapport qui critique les deux premières méta-analyses, évidemment Matadon s’empresse de reprendre ses conclusions, sans critiquer le rapport lui-même ou mettre en avant ses limites7. Illustrant le type de critiques que cherche à produire Matadon, à propos de la méta-analyse de Zhang et al de 2019, il aimerait avoir l’avis de Geoffrey Kabat, un scientifique connu pour nier l’effet du tabagisme passif sur la santé8. Apparemment Matadon a besoin des lumières de célèbres marchands de doute pour mieux s’inscrire dans leur lignée.

Le glyphosate, solution miracle pour les sols

Loin de se contenter de nier les effets du glyphosate sur la santé humaine, il vante aussi les prétendus mérites du glyphosate sur les sols. Pour lui, le glyphosate « respecte l’environnement » et « préserve les sols ». On croirait une publicité.

Les merveilleuses vertus du glyphosate, d’après Matadon. Souvenons-nous de ce que disait l’IPBES à propos du glyphosate un peu plus haut…

On y est désormais habitué, Matadon va savamment naviguer entre des prises de positions contradictoires. Par exemple il affirme tranquillement que le glyphosate contribue à favoriser la vie du sol. Or, lorsque La Lince déploie tout un argumentaire afin de montrer les effets néfastes du glyphosate sur la biodiversité des sols, Matadon affirme, sans crainte de se contredire, que personne ne nie les effets du glyphosate sur les sols. C’est dommage qu’il ait oublié de nous en parler pendant tout ce temps. Mais afin de ne pas être trop rude avec le glyphosate, Matadon nuance immédiatement cela en prétendant que le glyphosate, en agriculture de conservation des sols, a un effet plus positif sur les sols que l’agriculture bio. Or comme le relève Anna Roylston, l’étude citée par Matadon ne fait absolument pas usage de glyphosate en agriculture de conservation des sols, c’est en conventionnel que le glyphosate est utilisé.

Étude utilisée par Matadon comme preuve de l’intérêt du glyphosate, en agriculture de conservation des sols, par rapport au bio. Manque de chance : le glyphosate n’est pas utilisé en agriculture de conservation mais en agriculture conventionnelle dans cette étude. Toujours dans cette étude le bio fait mieux que le conventionnel, mais ça Matadon ne le dira pas.

Il aurait pu s’agir d’une erreur ponctuelle de Matadon. Mais il a cité l’étude plus d’une vingtaine de fois pour vanter l’intérêt du glyphosate pour les sols9 ! Il s’agit tout simplement de l’étude que Matadon a cité le plus souvent. Voici une petite compilation de deux ans de manipulation, pendant lesquels Matadon a vanté les mérites du glyphosate alors que l’étude utilise d’autres herbicides en agriculture de conservation des sols (ACS) :

Cela interroge sur son sérieux ou son honnêteté. S’il n’a pas lu ou déforme l’étude qu’il a le plus souvent citée, comme lui faire confiance sur n’importe quel autre sujet ? D’autre part, cela montre que les preuves de ce qu’il avance sont particulièrement ténues, puisqu’il est obligé de se rabattre sur une étude qui n’utilise pas de glyphosate en agriculture de conservation pour vanter les mérites du glyphosate ! Matadon pousse même le vice en affirmant que « c’est plus facile de gober la propagande des écolos que de lire les études ». Par contraste, Matadon, lui, se fait un fidèle relais de la propagande de Monsanto/Bayer, sans lire les études.

Matadon a également cherché à faire croire que le glyphosate était indispensable en ACS, c’est d’ailleurs un argument pour qu’il ne soit pas interdit. Il affirmait que l’ACS c’est le glyphosate ou que le glyphosate « permet » l’ACS ou bien que c’est « très difficile » de faire de l’ACS sans glyphosate, « et encore ».

Une méta-analyse de 60 études portant sur l’ACS a montré les effets néfastes d’un désherbage chimique sur la vie microbienne des sols par rapport à un désherbage mécanique. Or ce désherbage chimique est majoritairement fait par du glyphosate10. J’avais eu l’occasion de relater cette méta-analyse et comme j’avais tiré des conclusions sur le glyphosate, cela avait attiré certains fervents défenseurs… dont Matadon.

Petite parenthèse : relevons au passage que cette méta-analyse n’a été relayée par aucun des membres ou signataires de la tribune NoFakeScience qui prétendait vouloir défendre les connaissances scientifiques instrumentalisées. Une belle occasion manquée.

On se retrouve donc avec cet argumentaire légèrement paradoxal de Matadon, où le glyphosate est indispensable en ACS, mais où en fait il existe d’autres herbicides que le glyphosate pour faire de l’ACS.

La pensée complexe de Matadon : si un article parle d’ACS positivement, alors c’est nécessairement grâce au glyphosate (même s’il n’est pas mentionné), en revanche si on critique le désherbage chimique, c’est probablement à cause des autres herbicides, dont il se souvient soudainement qu’ils existent.

Plus sérieusement, si on pouvait se demander si Matadon avait réellement lu l’étude qu’il a abondamment citée, ici le doute n’est plus permis. Il sait que le glyphosate n’est pas indispensable en ACS, mais pourtant relaye abondamment cette idée afin d’accoller l’image positive de l’ACS à celle du glyphosate, pour tenter de redorer son image et lui éviter une interdiction. On est donc bel et bien face à une manipulation de la part de Matadon.

Une apparence de scientificité, une subtile manipulation du doute

Matadon essaie d’habiller ses propos d’une certaine scientificité en citant des articles scientifiques, des rapports où en usant d’un vocabulaire ayant les atours du scientifique, comme l’illustrent les 10 termes les plus utilisés dans ses tweets parmi lesquels figures étude et scientifique.

Néanmoins comme je viens de l’illustrer, il passe en fait de nombreuses sources de qualité sous silence comme l’expertise collective de l’Inserm sur les pesticides, des méta-analyses diverses et variées (à propos de l’impact des pesticides sur la santé ou sur les micro-organismes, par exemple) et ne mentionne quasiment pas l’IPBES alors que Matadon parle beaucoup de biodiversité. Cela lui permet de tenir des propos en opposition totale avec les connaissances les plus à jour : faire croire que le bio serait mauvais pour l’environnement ou pour la santé ou que le glyphosate serait bénéfique pour les sols.

Évidemment ces négations des connaissances scientifiques sont parfois un peu trop voyantes et il est donc obligé de faire le grand écart pour ne pas être pris en défaut de manière trop flagrante. J’ai pu montrer quelques-unes de ces figures de haute voltige où il défend à la fois une idée et son opposé : les OGM augmentent les rendements, mais en fait non ; les agences analysent le risque cancérigène, mais en fait non ; le glyphosate est indispensable en ACS, mais en fait non, etc. En revanche, jamais je n’ai vu Matadon faire un correctif, reconnaissant qu’il se serait trompé et l’annonçant à tous ses abonnés (près de 8 000 sur Twitter, à l’heure où j’écris et environ 50 000 vues pour sa vidéo sur le bio).

Son peu de cas pour les connaissances scientifiques s’illustre de manière criante dans le relais massif qu’il a fait d’une étude, en la déformant, puisque selon lui elle aurait démontré l’intérêt du glyphosate alors que celle-ci n’en utilisait pas en ACS. Mais ceci n’est bien qu’une illustration d’un problème plus large, de laisser de côté des tombereaux de la littérature scientifique qui montrent l’intérêt de l’agriculture biologique ou les différents problèmes engendrés par l’utilisation du glyphosate.

Le problème majeur est que Matadon est pris au sérieux. Évidemment je n’aurais pas pris la peine de déconstruire son discours s’il prêchait dans le désert. Mais c’est loin d’être le cas.

Son argumentaire contre l’agriculture biologique a par exemple été repris, sans aucun recul, par ChatSceptique (environ 28 000 abonnés sur Twitter et plus de 130 000 sur Youtube) ou par LaBlouse (près de 4 000 abonnés sur Twitter) dont les sources mentionnent Matadon à plusieurs reprises. Mais l’argumentaire de Matadon porte aussi auprès de rédacteurs ou journalistes scientifiques11, probablement piégés de bonne foi. Le fait que ses propos soient également repris par Mac Lesggy ou Emmanuelle Ducros12 en revanche, est plus en phase avec la nature de Matadon : la déformation de l’information.


Mises à jour

  • 19 avril 2021 : Précision que les informations sur l’absence de lien entre utilisation de cuivre et cancer ou Parkinson vient de l’expertise collective de l’Inserm.
  1. Le GIEC dans son rapport sur le lien entre changement climatique et dégradation des sols cite le bio comme une des approches pour une gestion durable des sols : « The choice of SLM strategy is a function of regional context and land use types, with high agreement on (a combination of) choices such as agroecology (including agroforestry), conservation agriculture and forestry practices, crop and forest species diversity, appropriate crop and forest rotations, organic farming, integrated pest management, the preservation and protection of pollination services, rain water harvesting, range and pasture management, and precision agriculture systems (Stockmann et al. 2013; Ebert, 2014; Schulte et al. 2014; Zhang et al. 2015; Sunil and Pandravada 2015; Poeplau and Don 2015; Agus et al. 2015; Keenan 2015; MacDicken et al. 2015; Abberton et al. 2016). Conservation agriculture and forestry ».
    Pour l’IPBES c’est annoncé dès le résumé de leur rapport de 2019 « Des options pour une production agricole durable existent et continuent d’être élaborées, certaines ayant plus d’incidences que d’autres sur la biodiversité et les fonctions écosystémiques {6.3.2.1}. Parmi ces options, on peut citer la lutte intégrée contre les nuisibles et la gestion intégrée des nutriments, l’agriculture biologique, les pratiques agroécologiques, les pratiques de conservation des sols et de l’eau, l’agriculture respectueuse de l’environnement, l’agroforesterie, les systèmes sylvo-pastoraux, la gestion de l’irrigation, les systèmes de petites parcelles et les pratiques visant à améliorer le bien-être animal. ».
    Dans le rapport de 2018 de l’IPBES, sur la dégradation des sols, il était dit que malgré les rendements plus faibles du bio, il ne fallait pas oublier ses aspects positifs pour la biodiversité, les sols et l’eau « However, while many studies provide evidence that these sustainable management practices increase food provision, primarily for tropical regions where previous food productions have been low (Bayala et al., 2012; Kato et al., 2011; Palm et al., 2010; Pretty et al., 2006; Pretty et al., 2011; Thierfelder et al., 2012; Wickama et al., 2014), other studies suggest that practices such as organic farming and conservation agriculture can result in lower average yields and higher land requirements, although variations are high and strongly site- and crop-specific (de Ponti et al., 2012; Garnett et al., 2013; Palm et al., 2014; Pansak et al., 2008; Seufert et al., 2012; Tuomisto et al., 2012; van den Putte et al., 2010). Importantly, the improvements in regulating services (e.g., pollination, erosion control, nutrient retention, or water purification) may show stronger positive impacts on long-term crop productivity compared to conventional intensively cultivated production systems (Bommarco et al., 2013; Lal, 2010; Power, 2010). » []
  2. En p.783 : « Le produit de dégradation des EBDC [la famille à laquelle appartient le mancozèbe], l’éthylènethiourée (ETU, figure 23.9), a été impliqué comme perturbateur de plusieurs processus cellulaires dont la synthèse des hormones thyroïdiennes (Doerge et Takazawa 1990 ; Marinovich et coll., 1997). » []
  3. Par exemple on trouve ceci dans le rapport : Indeed, experts considerations which are also therein reported as follows indicate a weight of evidence approach could be applied: “concluded that the weight of evidence could be considered acceptable for addressing the long term risk to birds and mammals for application of up to 5 Kg copper/ha but further data would be needed to draw a conclusion covering all feeding guild categories []
  4. Chap. 2.1 : « Pesticides, agricultural insecticides, and newer generation molecules (like pyretroïds and neonicotinoids) (Stehle & Schulz, 2015) reduce macroinvertebrate richness in rivers by up to 40% (Beketov et al., 2013; Van Dijk et al., 2013), while urban and agricultural herbicides exert effects on non-target species like algae (Malaj et al., 2014; Moschet et al., 2014) »
    Chap 2.2 : « there is evidence that the use of toxic agrochemicals and systemic pesticides, such as neonicotinoids, in cultivated systems is affecting non-agricultural lands and wild biodiversity including pollinators and other beneficial organisms (Dudley et al, 2017). »
    Chap.3 : « Preservation of natural vegetation within agricultural landscapes for nesting and feeding habitat (Kremen et al. 2004), along with reduced use of harmful agro-chemical such as neonicotinoids can help to maintain pollinator communities in landscapes and pest control services. » []
  5. « Increasing intensification of agriculture in terms of both agrochemical-use and landscape simplification (fewer crop types, rotations and remnant habitats) has negatively impacted farmland species critical for food production. Seventy-five percent of major crops require some degree of pollination (Klein et al. 2007). Loss of adequate habitat within the agricultural matrix (e.g. grassland and forest patches, hedgerows etc.) high use of agro-chemicals and the large scale transport of hive s over great distances is thought to contribute to the widespread decline of pollinators (Simone-Finestrom et al. 2016). Over 40% of pollinator species are threatened (IPBES 2016), which may lead to pollinator-limited yield declines (Basu et al. 2011). These crops also tend to be high-value fruits and vegetables and primary sources for key micro-nutrients such as vitamin A, iron and folate (Eilers et al. 2011), affecting efforts to achieving SDG 2.1 and 2.2 on healthy diets and malnutrition. Preservation of natural vegetation within agricultural landscapes for nesting and feeding habitat (Kremen et al. 2004), along with reduced use of harmful agro-chemical such as neonicotinoids can help to maintain pollinator communities in landscapes and pest control services. These findings highlight negative trends in
    features relevant to achieving this target (Fig. 3.13).
    » []
  6. Bien entendu ces critiques sont l’occasion de nombreuses manipulations comme j’ai eu l’occasion de le montrer. []
  7. Par exemple sur la méta-analyse de Zhang et al, l’EPA dit que partir de l’hypothèse que les agriculteurs exposés le plus longtemps sont ceux susceptibles d’avoir plus de risques de développer un cancer n’est pas pertinent. On se pince. L’EPA est-elle en train de dire que, concernant le glyphosate, la dose ne fait pas le poison ? Et donc que le glyphosate aurait une dose-réponse non linéaire ? Or les procédures d’évaluation de l’EPA reposent sur ce principe. Il est assez étonnant de voir l’EPA reprocher à des chercheurs de partir d’hypothèses que l’EPA utilise également ! Bien entendu Matadon n’a pas relevé, lui qui pourtant ne cesse d’affirmer que « la dose fait le poison ». []
  8. Voir aussi cet article qui parle plus en détail de l’article de Kabat sur le tabagisme passif. []
  9. Exemples : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20 []
  10. D’après le décompte que j’ai fait des études sur lesquels s’appuie la méta-analyse []
  11. ici ou par exemple []
  12. Pour Ducros : 1, 2, 3, 4
    Pour Lesggy : 1, 2, 3, 4, 5, 6 []

2 comments for “L’imposture Matadon

  1. Olf
    19/04/2021 at 09:30

    Des défenseurs de Matadon soulèvent ici d’éventuelles erreurs qui pourraient être corrigées (ou des affirmations qui pourraient être explicitées) https://www.facebook.com/groups/1080494895378048/permalink/3939108176183358/

    • factsory
      19/04/2021 at 11:24

      Merci pour l’info !

      Je vois une certaine dose de mauvaise foi. Voyez-vous des critiques qui semblent pertinentes ?

      Je vais rajouter que pour le cuivre le lien avec Parkinson n’est pas mentionné dans l’expertise collective de l’Inserm. L’article cité de Futura-Sciences sur cuivre et Parkinson ne mentionne absolument pas l’utilisation agricole. Ces personnes sont-elles toujours aussi rapides à trouver des liens entre pesticides et problèmes de santé dès qu’une étude in vitro existe ?

      Quant à la personne qui utilise Ephy, fort bien mais il s’agit des produits finis (les toxicités pouvant éventuellement être dus à des coformulants) là où l’EFSA classe les substances actives (ce qui est plus pertinent ici, puisque je ne parle que de ces substances actives).

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