L’industrie agro-alimentaire agit de manière semblable à l’industrie du tabac par rapport aux nombreux problèmes de santé publique inhérents aux produits qu’elle commercialise.
Additifs
Les industriels de l’agroalimentaire intègrent un certain nombre d’additifs dans les nourritures qu’ils produisent. Ces additifs ont pour but de relever le goût (le cas du sel par exemple), de plaire et créer une addiction (sucre et assimilés), d’être moins coûteux que d’autres alternatives, d’offrir une meilleure texture, un meilleur aspect, …
Acides gras trans
Aussi connus sous le nom d’acides gras insaturés ou de graisse hydrogénée, ils ont la propriété de rendre les « frites plus croustillantes, les gâteaux plus fondants, les pâtes plus moelleuses » et c’est pourquoi ils sont largement utilisés dans l’agro-alimentaire, en plus de ne pas faire rancir les aliments et de leur coût réduit.
Il s’agit d’une matière grasse de synthèse obtenue à partir d’huile qui a par la suite été hydrogénée, pour obtenir une matière grasse finale plus ou moins solide.
De nombreuses études mettent en évidence les effets délétères de ces acides sur la santé. Ils augmentent le taux de mauvais cholestérol ce qui accroît le risque de maladies cardiaques. Une étude récente confirme le risque accru de maladie cardiaque lors de la consommation d’acides gras trans. Ces graisses peuvent aussi doubler le risque, pour les femmes, de développer un cancer du sein, ou un cancer du colon pour certaines femmes. Les acides gras trans augmentent aussi la possibilité de faire une dépression. Il est aussi possible que ces graisses augmentent les risques de prises de poids ou de diabètes.
D’après un rapport de l’AFFSA, en France, 5% de la population consomme une quantité trop importante de ces acides gras trans. Le rapport de 2005 recommande d’afficher sur les emballages le pourcentage d’acides gras trans, d’ici deux ans. Nous sommes en 2013 et cet étiquetage n’est toujours pas une réalité. Pourtant le reportage d’Envoyé spécial, précédemment cité, montre que certains produits dépassent les doses maximum recommandés d’acides gras trans. Or les risques pour la santé sont connus depuis de nombreuses années (depuis au moins 1990, pour l’augmentation du taux de cholestérol) mais les industriels n’ont pas envie de modifier leurs recettes car: on perdrait la texture de l’aliment, il pourrait se conserver moins bien, le goût pourrait être différent, le coût serait supérieur, … Réduire sa marge ou perdre des clients seraient évidemment une mauvaise affaire pour l’industrie agro-alimentaire, ce qui n’est pas du tout compatible avec notre système actuel cherchant à toujours maximiser les profits.
Par exemple Mc Donald’s n’a changé les graisses utilisées qu’à partir du moment où des menaces de procès ont commencé à arriver aux États-Unis d’Amérique.
De plus les graisses trans sont souvent remplacées par des huiles de palme dont on a vu que la production pose un certain nombre de problèmes. Au niveau sanitaire, il n’est pas acquis que ces huiles soient plus saines puisqu’un rapport de l’organisation mondiale de la santé (OMS) (p. 92) pointe le risque accru de maladies cardio-vasculaires associé à leur consommation. Une publication de 2006 pointe le fait que les effets sur le cholestérol sont identiques dans le cas des graisses trans ou des huiles de palme.
Ainsi les industriels se donnent bonne conscience, et évitent surtout une mauvaise image, en renonçant aux graisses hydrogénées, mais ne règlent en fait aucun problème en ayant recours à l’huile de palme. Peu importe, les profits sont préservés.
Salé
En France la consommation de sel est de 9 à 10g. par jour et par personne1 là où l’OMS recommande de ne pas dépasser 5g. par jour. Les objectifs même de l’AFSSA ne sont pas remplis puisqu’elle tablait sur une consommation de 6 à 8g. par jour. La raison de cet échec est l’absence totale de réglementation contraignante vis à vis de l’apport de sel dans la préparation des aliments industriels. Si les teneurs en sel des aliments ont effectivement baissé, c’est dans une proportion qui est loin d’être satisfaisante.
La surconsommation de sel est dangereuse pour la santé car elle augmente les risques d’hypertension et donc les risques de mourir d’une maladie cardio-vasculaire ou d’un accident vasculaire cérébral. Il est estimé qu’une réduction de 5g de la consommation de sel par personne pourrait éviter plus de 4 millions de morts par an dans le monde.
L’industrie du sel a un intérêt assez faible à diviser ses ventes par deux. Elle a d’ailleurs poursuivi un chercheur français en justice, Pierre Meneton, pour diffamation en raison de propos qu’il a tenu à un journal. Le chercheur sera acquitté mais la pression est mise. Comme pour le tabac, certains industriels ont cherché à camoufler la réalité et allumer des contre-feux, en mettant en exergue des effets positifs du sel, pour éviter que la réalité n’éclate.
L’industrie agro-alimentaire a recours au sel pour plusieurs raisons:
- il rehausse le goût d’aliments pour, par exemple, cacher la faible qualité de ceux-ci, en particulier les saveurs sucrées ressortent davantage alors que l’amertume se retrouve diminuée;
- il retient l’eau et permet ainsi, dans les aliments carnés, d’afficher un poids à la vente plus important2;
- il donne soif et engendre donc une consommation de boisson plus importante, ce qui ne nuit pas aux intérêts de l’industrie agro-alimentaire.
Sucré
En France la consommation de sucre a été multipliée par 7 en un peu plus d’un siècle, atteignant les 35kg par an et par habitant depuis les années 1970.
Les plats préparés peuvent contenir du sucre alors que nous ne nous y attendrions pas. Pourquoi trouve-t-on du sucre dans de nombreux plats ? Notre cerveau est câblé pour reconnaître et aimer le sucre dès notre plus jeune âge. Ajouter du sucre dans les plats ne nuit donc certainement pas à leur consommation! Il a même été montré, chez les rats, que le sucre provoquait une addiction supérieure à celle de la cocaïne ou de l’héroïne!
Or le sucre n’est pas anodin pour la santé et notre corps n’est pas habitué à en avaler de telles quantités. La consommation excessive de sucre augmente les risques d’obésité ou de diabète ainsi que de cancer du sein.
Il est intéressant de constater les positions du lobby du sucre sur ces aspects de santé publique. Sur son site, il nie le lien entre diabète et consommation de sucre : « il n’y a pas de lien entre la consommation de glucides en général […] et le diabète », minimise le lien avec le cancer du sein: « ces mêmes pays ont d’autres facteurs de risque connus de cancer du sein, et à un niveau élevé : puberté précoce, stature moyenne élevée, polluants environnementaux » et nie le pouvoir addictif du sucre: « L’idée d’une addiction au sucre est très largement répandue. C’est parce que le terme d’addiction est souvent utilisé pour parler d’appétit incontrôlable pour les aliments palatables. ». Si le sucre n’est pas dangereux, on se demande alors pourquoi de nombreux édulcorants de synthèse sont apparus ces derniers temps tels que l’aspartame ou la stevia…
Ces édulcorants, justement, défrayent de temps en temps la chronique. À ce jour, les études sur le sujet ne semblent pas faire de lien entre les édulcorants et de risques accrus de cancers ou de diabètes. Cependant de récentes études identifient un risque accru de naissances prématurés lié à la consommation d’édulcorants.
Obésité
Le développement de l’obésité est récent et touche plus particulièrement les pays les plus riches. Ce développement peut s’expliquer par la profusion de nourriture disponible et le faible coût pour y accéder. Le fait qu’une partie de l’humanité dispose de plus de nourriture que nécessaire est un fait nouveau dans l’histoire de l’Humanité. Cependant, même si un accès facilité à la nourriture est un début d’explication, cela ne dit pas, par exemple, pourquoi les populations pauvres parmi les pays riches sont paradoxalement les plus touchées. Des facteurs, propres au style de vie, stimulent la prise de nourriture tels que la consommation d’alcool, le manque de sommeil et regarder la télévision.
Une enquête épidémiologique réalisée par Roche avec l’INSERM et TNS en 2009, sur l’obésité note que « la prévalence de l’obésité rest[e] parallèlement inversement proportionnelle au niveau d’instruction » (p. 20 et 29). De même, sur l’influence des revenus « il existe une relation inverse entre revenus du foyer et prévalence de l’obésité » (p. 30)
L’influence de la télévision sur l’obésité chez les enfants est connue depuis 1985, dans une étude parue dans Pediatrics. Toutes choses égales par ailleurs (c’est-à-dire en corrigeant les différences dues aux conditions socio-économiques, à la structure de la famille, à des précédents d’obsésité, …), une autre étude a montré que les enfants ont de 2,3 à 12,1 fois (en moyenne 5,3 fois) plus de risque d’être obèses s’ils regardent la télévision plus de 5 heures par jour par rapport à ceux qui la regarde de 0 à 2 heures par jour.
Une autre étude a montré que chez les enfants, une diminution du nombre d’heures passées devant la télévision (à regarder des programmes, des cassettes ou à jouer à des jeux vidéos) conduit à une perte de poids.
Enfin, afin de mesurer l’influence de la publicité sur les enfants, d’autres chercheurs ont demandé à des enfants de composer des menus après avoir vu des messages publicitaires (pour de la nourriture ou des jouets) suivis de dessins animés. Ils en arrivent à la conclusion que les enfants choisissent plus facilement des aliments gras ou sucrés après avoir vu des publicités pour la nourriture que pour les jouets. Les plus grands consommateurs de télévision sont ceux qui sont le plus affectés par ces influences.
Ce lien entre télévision et obésité peut s’expliquer par diverses causes. Naturellement le temps passé devant la télévision n’est pas passé à des activités physiques, la publicité qu’ils y voient les incitent à consommer de la nourriture peu saine. Les enfants ont tendance à grignoter ou manger devant la télévision, et à y manger des choses peu saines (il est certain qu’il est difficile de manger un filet de poisson devant la télévision). Nous reviendrons prochainement plus en détail sur les effets de la publicité.
Concernant le lien entre pauvreté et obésité, des chercheurs chargés du suivi des objectifs du millénaire de l’ONU expliquent que, pour des raisons de coût, l’alimentation se fait plus riche en graisse et en sucre mais moins en nutriments. En effet ces aliments, souvent déjà préparés, coûtent moins chers que des fruits ou légumes dont les apports caloriques sont souvent plus faibles. Ainsi notre société actuelle est responsable de l’obésité à travers la télévision ou la publicité omniprésente mais également en raison de notre économie qui appauvrit les gens par le recours massif au travail précaire. Des études suggèrent que la baisse des prix de la nourriture a provoqué une augmentation de la quantité ingérée. Cela pourrait être utilisé pour promouvoir les aliments sains, puisque une baisse du prix a potentiellement plus d’effets que des messages sanitaires.
Sur l’importance de la nourriture dans l’obésité, une large étude menée sur plus d’une centaine de milliers de personnes aux États-Unis d’Amérique depuis 1986 identifie les aliments et, plus largement, les comportements faisant gagner ou perdre du poids. Les aliments associés aux gains de poids le plus importants sont les chips, les pommes de terres et les boissons sucrées. À l’inverse les aliments associés à une perte de poids sont les fruits, les noisettes et le yaourt. Par ailleurs parmi les activités entraînant un gain de poids figurent la consommation d’alcool, regarder la télévision et dormir peu (moins de 6 heures) ou beaucoup (plus de 8 heures).
L’obésité pose de nombreux problèmes de santé publique. Comme le souligne l’enquête de Roche, le risque d’être traité pour hypertension artérielle est multiplié par 4 chez les obèses, les risques de problèmes de cholestérol ou de glycémie (diabète) sont accrus et les obèses ont 12 fois plus de risques cardio-vasculaires que les personnes de corpulence normale.
L’obésité est une maladie qui diminue l’espérance de vie des personnes qui en sont atteintes. Une étude récente ayant suivi plus d’une centaine de milliers de patients pendant dix ans montre que ceux atteints d’obésité ont jusqu’à deux fois plus de risque de mourir. Cette maladie a également un coût pour la société en raison des différents traitements dont ont besoin les patients. Le coût estimé de l’obésité au Canada et aux États-Unis d’Amérique est de 300 milliards de dollars par an. Ce coût gigantesque n’est que la contre partie de la manipulation de nos esprits par une publicité omniprésente et du faible prix des aliments gras, sucrés, de basse qualité, responsables de cette épidémie.
On ne peut pas dire que les promesses d’auto-régulation soient vaines mais les efforts sont pour le moins limités et souvent contre-balancés par des mesures visant à améliorer les ventes de produits malsains.
La coopération de l’industrie est loin d’être pleine et entière pour limiter la vente des produits malsains. L’industrie agro-alimentaire a effectué un intense lobbying auprès du parlement européen pour refuser toute possibilité d’avoir un étiquetage clair pour indiquer la teneur en sel, graisse et sucre d’aliments à l’aide de feux tricolores. Or il a été montré qu’une telle signalétique est efficace et permet au consommateur de juger si un produit est sain ou non, plus rapidement qu’avec la signalétique actuelle. Au Royaume-Uni une telle signalétique est partiellement en place et est efficace puisque les ventes de céréales les plus saines ont augmenté au détriment des moins saines. Est-ce ce que redoute l’industrie agro-alimentaire?
Prochaine partie sur les risques liés au tabac. À suivre !
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