Les décodeurs du Monde ou la rubrique Désintox de Libé ont pour objectif de rétablir la vérité des faits. Samuel Laurent voit donc son travail comme objectif, ne faisant preuve d’aucun militantisme. Pour autant un tel travail est loin d’être dénué de tout biais. Au premier rang de ceux-là, le choix de l’information à critiquer (ou à laquelle ne pas s’intéresser). Justement, les propos ou propositions d’Emmanuel Macron ont rarement eu à subir l’analyse de nos décodeurs. Emmanuel Macron serait-il bien plus honnête que ces anciens compétiteurs ?
Quelles intox de Macron les journalistes du Monde ou de Libé ont-ils corrigé ? Libé en a recensé sur le laxisme de la justice, le jour de carence des fonctionnaires, sur sa propension à faire évoluer les chiffres autour des condamnation pour consommation de cannabis, ou sur sa revendication d’être le seul candidat à proposer que les élus aient un casier judiciaire vierge. Des manipulations réelles, donc, mais ne portant pas vraiment sur le cœur de son programme et qui, une fois corrigées, ne sont pas susceptibles de remettre en cause la plupart des propositions qu’il formule.
Le Monde est encore plus tendre. Pour « les décodeurs », Macron ne commet pas d’intox, de contre-vérité ou de mensonge. Non, il commet, lors du débat avec Marine le Pen, une « approximation » et une « erreur ». Même chose, lors de l’Émission politique, où il a commis des « approximations ». Et de même pour le compte-rendu du débat à cinq candidats où Macron s’est rendu coupable d’une « erreur » et d’une « exagération ». Ce sont les mêmes intox qui sont mentionnées : niveau des écoliers de CM2 ou sur le laxisme de la justice, déjà mentionné par Libé. Notons que les Décodeurs évaluent les projections économiques de Macron en les jugeant peu crédibles. Ils ne vont pas jusqu’à le formuler ainsi, les Décodeurs se contentant d’un « ça risque d’être plus compliqué ».
N’y aurait-il donc rien de plus à dire par rapport à des propositions phares de son programme ? Doit-on en conclure qu’elles rempliraient bien le rôle que Macron veut leur faire remplir ?
Ce n’est pas tout à fait vrai, les Décodeurs ont analysé certaines propositions du programme d’Emmanuel Macron… juste avant le second tour. On y découvre alors, au milieu de critiques plus anecdotiques, que la suppression des cotisations chômages et maladie est fragile juridiquement car des dispositions similaires ont déjà été censurées par le Conseil Constitutionnel. Il s’agit d’une proposition phare d’Emmanuel Macron : elle est censée permettre l’augmentation du salaire net des salariés, en déplaçant la fiscalité sur les revenus du capital et sur les retraités aisés; elle doit aussi permettre de faire de l’assurance chômage une assurance universelle. Or la dernière fois que cette mesure, et les problèmes de constitutionnalité qu’elle pose, ont été mentionnés avant le premier tour, c’était… le 3 janvier 2017. Je n’ai trouvé aucun article à ce sujet après le 3 janvier et avant le premier tour.
Mais il y a d’autres sujets contestables dans le programme d’Emmanuel Macron qui n’ont pas même eu l’honneur d’un article.
Former les chômeurs pour en diminuer fortement le nombre ?
Un autre élément de la lutte d’Emmanuel Macron contre le chômage repose sur la formation professionnelle. Il envisage de former deux millions de personnes, ce qui représenterait une dépense de 15 milliards d’euros.
Il est certainement très intéressant de former des personnes et de leur permettre d’acquérir de nouvelles compétences. On peut néanmoins se poser la question du devenir de ces personnes formées. Seront-elles susceptibles toutes de trouver un emploi dans le domaine où elles auront été formées ?
Cela supposerait que des recruteurs cherchent des compétences qu’ils ont des difficultés à trouver parmi les chômeuses et chômeurs.
Commençons par rappeler que depuis 2009 il y a plus d’entrées à Pôle Emploi que d’offres collectées. De manière générale, les employeurs ne se trouvent donc pas face à un déficit de demande. Cette situation générale recoupe cependant des réalités différentes. Il existe certains domaines où le nombre d’offres est similaire, voire plus élevé que le nombre de demandeurs (ouvriers et techniciens dans l’électronique et l’électricité, techniciens et agents de maîtrise de diverses industries, attachés commerciaux, maîtrise des magasins et intermédiaires du commerce)
D’autre part Emmanuel Macron présente ces mesures comme une solution aux personnes se trouvant au chômage suite à des délocalisation ou à l’automatisation de leur travail. Il s’agit donc de personnes ayant un métier depuis plusieurs années, dont certaines peuvent dépasser les 45 ans.
Or, dans le cadre de formation professionnelle, les 45 ans ou plus sont les personnes qui ont le moins de chance de retrouver un emploi (79% de moins que les moins de 26 ans) et celles qui ont un niveau de diplôme supérieur ou égal à bac+2 ont de 50% à 2 fois plus de chances de retrouver un emploi (temporaire ou stable). Autrement dit une formation professionnelle ne semble pas être une solution magique et elle semble surtout être efficace pour les personnes jeunes déjà diplômées.
En 2012, Pôle Emploi comptabilisait 116 300 emplois qui n’avaient pas trouvé preneurs en 2015, ce nombre était de 43 000 (probablement avec une méthodologie différente). En considérant qu’environ 100 000 postes chaque année ne trouvent pas preneur, il serait un peu rapide de penser qu’avec une meilleure formation, il pourrait y avoir 100 000 demandeurs d’emploi de moins par an. Ces postes non pourvus peuvent aussi être dus à des offres de postes cherchant des « moutons à cinq pattes », des demandes extravagantes. Bref en regardant ces chiffres, il est difficile d’espérer une amélioration massive du chômage grâce à la formation de deux millions de chômeurs. Pourtant, Emmanuel Macron espère diminuer le chômage de 550 000 chômeurs grâce à cette mesure.
Mais l’idée de former des chômeurs pour leur permettre de retrouver un emploi n’est pas nouvelle. Elle a déjà été mise en œuvre en France et dans d’autres pays dans le monde. Cette solution a donc fait l’objet d’évaluations qu’il est possible de consulter.
Commençons par la France. Bruno Crépon, Marc Ferracci et Denis Fougère ont publié un article sur le sujet en 2012. Ils étudient le parcours de 270 000 personnes au chômage entre 2001 et 2005 (à une période où le chômage était moins élevé que maintenant). D’après eux la formation des chômeurs ne permet pas d’améliorer le taux de sortie du chômage. En revanche, plus la formation du chômeur est longue, plus il reste longtemps en emploi (une fois qu’il en a retrouvé un). Les formations ne sont donc pas totalement inutiles. Une synthèse de plusieurs études internationales sur l’effet de la formation sur le retour à l’emploi trouve des résultats mitigés, c’est à dire qu’ils sont positifs ou neutres selon la manière dont les données sont analysées.
En bref si la mesure ne sera probablement pas inutile, il ne faut pas en attendre des résultats sensationnels. De là à parier sur 550 000 chômeurs de moins grâce à celle-là, c’est très probablement irréaliste. Pour autant je n’ai pas trouvé de critiques de la part de nos décodeurs ou désintoxiqueurs sur cette proposition phare d’Emmanuel Macron. Dommage, non ?
Le mythe de l’actionnaire investisseur
Emmanuel Macron envisage de réaliser ce que n’avait pas osé entreprendre Nicolas Sarkozy : supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Le but selon lui : avoir une fiscalité « plus favorable à l’investissement productif ». Cet impôt serait remplacé par un impôt sur la fortune immobilière, qui ne porterait donc pas sur le patrimoine financier mais uniquement immobilier.
Emmanuel Macron part du principe qu’un patrimoine financier est un « investissement productif » (a fortiori en France, s’il en espère des retombées pour le pays). Évidemment d’une part rien assure que l’investissement est réalisé pour de la production en France, mais d’autre part détenir un patrimoine financier n’assure en rien de participer à l’investissement productif.
Au contraire, la majorité de l’investissement en Bourse relève de la spéculation bien plus que de l’investissement. Plus exactement, il y a environ 60 fois plus d’échanges d’actions en bourse que d’actions nouvelles mises sur le marché. Or seul l’achat d’actions nouvelles renfloue la trésorerie de l’entreprise, tout comme seul l’achat d’un produit neuf (et non d’occasion) va dans les caisses de l’entreprise productrice. D’autre part, seule une part faible de l’investissement des entreprises (environ 10%) est réalisé via la bourse. Dans les autres cas il s’agit de prêts bancaires ou d’autofinancement.
Avoir un patrimoine d’actions est donc très loin d’être synonyme avec le fait d’investir dans une entreprise. Et encore, nous ne mentionnons-là qu’un élément de ce que peut constituer un patrimoine financier. Il peut servir à spéculer sur des matières premières, permettant de se faire de l’argent sur le dos de famines.
Emmanuel Macron pense que de tels placements ne méritent pas d’être taxés. Les considère-t-il d’utilité publique ?
Bien que la mesure d’Emmanuel Macron sur la modification de l’ISF a bien été reprise dans la presse, les critiques (si elles existent) ont été pour le moins discrètes. Voici ce qu’en disaient les Décodeurs : « En résumé, les orientations de la réforme de la fiscalité du capital d’En marche !, sur une ligne économique libérale, tendent à la « simplifier » et à, selon lui, encourager les investissements. ». Ils relaient donc les propos de Macron sans chercher à les relativiser, par exemple avec des éléments tels que ceux présentés précédemment.
La preuve que les médias voulaient faire gagner Macron ?
Certaines propositions importantes d’Emmanuel Macron sont fortement sujettes à caution et, pourtant, ces critiques sont passées relativement inaperçues.
Cela pourrait accréditer l’idée qu’Emmanuel Macron a bénéficié d’une couverture favorable par la presse. C’est une possibilité.
Mais on peut aussi expliquer cela d’autres façons. Les intox que je viens de dénoncer sont moins évidentes à relever et à débusquer que celles de Marine le Pen (par exemple sur l’expulsion des fichiers S, le nombre d’immigrés…) ou François Fillon (par exemple sur le « cabiner noir » ou sur l’origine des réfugiés venant en France). De plus les critiques que je formule pourront paraître évidentes à des personnes opposées à Emmanuel Macron, mais beaucoup moins à des personnes se sentant proches de ses idées (en particulier pour ce qui touche aux investissements financiers).
Il est toujours plus facile d’être critique avec des idées dont on est éloigné qu’avec des idées dont on est proche. Et c’est bien l’un des soucis de ces rubriques visant à vérifier les faits : elles vont avoir tendance (inconsciemment, et sans mécanisme délibéré) à être plus critiques envers des propositions ou affirmations qui sont éloignées de leurs schémas de pensée. Un élément de solution consisterait à assurer une grande diversité politique parmi les journalistes contribuant à de telles rubriques. Pas gagné.