Le monde imaginaire du FMI

Le Fonds Monétaire International (FMI) publie chaque année le World Economic Outlook. Dans ce rapport annuel figurent un certain nombre de prévisions, dont les fameuses prévisions de croissance que les médias ne manquent pas de fidèlement rapporter. Voici quelques échantillons des reprises de la presse en ce qui concerne la publication de cette année, en avril : Euronews, Capital.fr, lesaffaires.com, Atlantico, lefigaro.fr.

À chaque fois qu’il y a prévision il est tentant de la confronter à la réalité. Il y a quelques temps j’avais déjà fait cet exercice pour les prévisions du prix du baril de pétrole entre 2001 et 2010, par la Banque mondiale. Les résultats n’étaient pas décevants ! Les prévisions de croissance du FMI peuvent donc être confrontées à ce qu’il en a réellement été. D’autant plus que le FMI a eu la (bonne ?) idée d’introduire des prévisions de croissance à 5 ans à partir de 2008. Nous nous intéressons donc aux prévisions de croissance du FMI à partir de 2008 (celles de 2008, 2009, 2010, 2011, 2012). Pour comparer les prévisions aux « vrais » taux de croissance, je prends les estimations du FMI l’année qui suit l’année étudiée (par exemple l’estimation 2013 de la croissance réalisée par un pays en 2012). Quant aux pays pris en compte, il s’agit des 35 pays considérés par le FMI comme des « économies avancées », moins San Marin. Ce sont donc les États-Unis d’Amérique, l’Allemagne, la France, l’Italie , l’Espagne, les Pays-Bas, la Belgique, l’Autriche, la Grèce, le Portugal, la Finlande , l’Irlande, la République Slovaque, la Slovénie, le Luxembourg, l’Estonie, Chypre, Malte, le Japon, le Royaume-Uni, le Canada, la Corée, l’Australie, Taïwan, la Suède, Hong Kong, la Suisse, Singapour, la République tchèque, la Norvège, Israël, la Danemark, la Nouvelle Zélande, l’Islande.

Le principe est de rassembler toutes les prévisions de croissance de ces pays, selon qu’il s’agit de prévisions l’année même (par exemple des prévisions de croissance réalisées début 2012 pour l’année 2012), un an avant, deux ans avant, etc. Et ces prévisions sont confrontées aux estimations du FMI, après que l’année étudiée est écoulée.

Clairvoyance ou pifométrie ?

Commençons par les prévisions les plus éloignées. Celles qui prétendaient prédire la croissance 2012 au début de l’année 2008. Commençons d’abord par décrire ce qu’on verra sur les graphiques qui vont suivre. Chaque point représentera une prévision de croissance d’un pays pour une année donnée. La position horizontale (en abscisse) de ce point correspond à la prévision de croissance du FMI, quant à sa position verticale il s’agit de la croissance réelle (estimée) réalisée. Si le FMI est clairvoyant, tous les points devraient donc être alignés le long d’une droite. Voilà le résultat :

Prévision de croissance du FMI en 2008 pour 2012La droite noire dessinée représente la droite le long de laquelle l’ensemble des points devraient être alignés. La zone verte qui l’entoure représente une marge d’erreur de ±1 point de croissance. La couleur des points représente la marge d’erreur. En bleu cyan, inférieure à ±0,5 point ; en jaune, inférieure à 1,5 points ; en doré, inférieure à 2,5 points ; en orange, inférieure à 5,5 points ; en rouge, inférieure à 10,5 points ; et en violet au-delà. On remarque donc que seules trois prévisions ont une erreur inférieure à 0,5 point et cinq sont inférieures à 1 point d’erreur. L’erreur moyenne est de ±2,9 points ! Pas glorieux. On remarque surtout que le FMI a eu tendance à largement surestimer la croissance par rapport à ce qu’elle a été (la quasi-totalité des points sont en dessous de la droite). C’est une illustration de l’erreur du FMI concernant les conséquences de l’austérité. Elles ont été largement sous-estimées. Le FMI l’a d’ailleurs récemment reconnu.

Bon… mais les prévisions de croissance si longtemps à l’avance ça n’est pas aisé. Certes, mais ce n’est pas moi qui ai obligé le FMI à en faire. Si on diffuse des prévisions au monde entier, autant s’assurer qu’elles ont un minimum de cohérence. C’est loin d’être le cas.

Désormais soyons gentils et regardons ce qu’ont donné les prévisions de croissance d’une année sur l’autre (c’est-à-dire, par exemple, les prévisions début 2010 de la croissance en 2011).

Prévisions de croissance du FMI d'une année sur l'autre.Ce graphique comporte beaucoup plus de points car il y a plus de prévisions disponibles (celles de 2008 pour 2009, celles de 2009 pour 2010, celles de 2010 pour 2011, celles de 2011 pour 2012). Sur 170 prévisions (les 170 points du graphique), seules 14 ont une erreur inférieure à 0,5 point (certains points se chevauchent et ne sont pas visibles sur le graphique). Les heureux élus sont : l’Australie en 2012, Chypre en 2008, la France en 2011, Israël en 2008, le Japon en 2012, les Pays-Bas en 2011, la Norvège en 2010 et 2011, Singapour en 2011, la Slovénie en 2010, l’Espagne en 2011, la Suisse en 2008 et en 2011. Notons quand même que 0,5 point de croissance, si cela peut paraître peu, représente quand même la bagatelle d’environ 10 milliards d’euros pour la France.

En moyenne le FMI a fait une erreur de 2,9 points, 50% des prévisions ont une erreur supérieure ou égale à 2,2 points et 75% des prévisions ont une erreur supérieure ou égale à 1,1 point. Joli !

Enfin, terminons par ce qui est théoriquement le plus simple. Prévoir la croissance de l’année en cours. Le FMI rend son rapport en avril de chaque année et donne, dans ce rapport, une prévision de croissance pour la fin de l’année. Regardons ce que cela donne sur l’ensemble des prévisions de 2007 à 2012.

Prévision de croissance du FMI pour l'année en coursHeureusement les résultats sont bien meilleurs, et pour cause l’exercice est moins compliqué. On observe donc des points qui sont bien plus alignés le long de la droite. Cette fois il y a 54 prévisions sur 170 qui ont une erreur inférieure à 0,5 point, soit moins du tiers des prévisions. L’erreur moyenne du FMI baisse : elle est de 1,2 points et 50% des prévisions ont une erreur d’au moins 0,8 point. Mais dans 10% des cas l’erreur est au moins de 2,9 points.

Une fourchette fiable de 5,8 points

Si on se sert de ces données pour établir la fiabilité du FMI pour prédire la croissance de l’année en cours (ne parlons même pas d’une prévision à plus d’un an), on peut arriver à quelques observations intéressantes. Pour l’année en cours, nous avons vu que dans 50% des cas l’erreur est au moins de 0,8 point. On peut le dire autrement. Quand le FMI fait une prédiction de croissance pour l’année en cours, il y a 50% de chances qu’elle se situe à ±0,8 point. Ainsi quand le FMI dit que la France devrait avoir une croissance de -0.1% en 2013, il faut en fait comprendre qu’il y a 50% de chances que la croissance se situe entre -0.9% et +0.7%1.

Mais cela veut aussi dire qu’il y a une chance sur deux que la croissance soit en dehors de cette fourchette (déjà large). Généralement, on préfère avoir une fourchette qui soit fiable dans 95% des cas. Restreignons nous à 90% des cas. Dans 90% des cas, l’erreur est au plus de 2,9 points. Il y a donc 90% de chances que la France ait une croissance comprise entre -3% et +2,8%, nous voilà bien avancés ! Ah qu’elles sont belles les prévisions du FMI !

Bonus

Je n’en ai pas parlé mais voici les graphiques pour les prévisions de croissance à N-2 et à N-3.

Prévisions de croissance du FMI deux ans auparavant

Prévisions de croissance du FMI trois ans auparavant

Pour ceux qui le souhaitent, vous trouverez dans l’archive ci-dessous les fichiers .CSV contenant les prédictions du FMI. Il y a un fichier par année. Chaque fichier contient les prédictions réalisées pour une année donnée.
Prévisions du FMI

  1. Cela suppose que la croissance est aussi difficile à prédire pour n’importe quel pays. Ce n’est pas forcément vrai. La croissance peut être plus simple à prédire pour certains pays que pour d’autres. Mais dans ce cas le FMI devrait annoncer la fiabilité de sa prédiction et ne pas laisser penser que toutes ses prédictions sont aussi fiables les unes que les autres. []

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