Pour leur profit personnel, certains n’hésitent pas à accaparer des ressources qui constituent pourtant le bien global de l’humanité. Cet accaparement devient d’autant plus détestable lorsqu’il se fait au détriment des populations les plus pauvres. Nous allons voir que certaines grandes entreprises, mais aussi notre mode de vie actuel, requièrent l’accaparement de l’eau, de terres, et de biomasses (les plantes et cultures).
Accaparement des terres
Les surfaces cultivables ne sont pas illimitées (comme toutes les ressources) et pourtant, elles sont loin d’être toutes utilisées de la manière la plus utile qui soit. On pourrait penser (naïvement) que ces surfaces devraient servir à nourrir des êtres humains. D’autant plus lorsque plus de 800 millions d’entre eux n’arrivent pas à se nourrir suffisamment.
La financiarisation de notre économie se répand dans tous les secteurs de notre économie. Et jusque dans l’agriculture. À l’heure actuelle des spéculateurs prennent possession de terres en Afrique1. Afin d’y nourrir les peuples locaux? Bien sûr que non ! Pour exporter. Oui, il y a des personnes qui se réservent des terres dans les pays qui souffrent le plus de la famine (par exemple Éthiopie et Soudan) !
L’élevage des animaux représente un des postes les plus importants pour l’accaparement des terres. Ce sont 30% des terres émergées (hors glaciers), ou bien 70% des surfaces servant à l’agriculture qui sont utilisées directement ou indirectement pour l’élevage. Un tiers des terres arables de la planète servent à cultiver de la nourriture pour nourrir les animaux. C’est plus d’un tiers de la quantité de nourriture cultivée qui va directement nourrir des animaux. Or la consommation de viande est loin d’être équitable sur la planète. Seuls les plus aisés sur la planète peuvent manger quotidiennement de la viande. Les européens consomment cinq fois plus de viande que les africains, ou trois fois plus que les asiatiques. Quant à ceux qui pensent que les pays émergents vont atteindre notre niveau de vie : est-ce seulement possible ? Amener la consommation mondiale au niveau européen, signifie multiplier par un peu plus de 2 la consommation de viande et donc les impacts qui en résultent.
Accaparement de la biomasse
Élevage
La surface ainsi utilisée pour l’élevage sert à la fois pour y laisser les animaux mais également pour y faire pousser leur nourriture. Cela peut sembler paradoxal mais une grande partie des céréales cultivées ne sert pas à nourrir des humains directement. À l’inverse, elle nourrit des animaux qui serviront ensuite à nourrir des humains.
Dans les pays industrialisés, c’est 73% des céréales qui servent à nourrir le bétail. La proportion est moins impressionnante dans les pays en développement mais, pour autant, elle est loin d’être négligeable puisqu’elle représente plus d’un tiers de la culture de céréales. Finalement de manière globale, 35% à 40% des céréales2 sont utilisées pour nourrir les animaux. Cela va jusqu’à des situations absurdes, comme aux États-Unis d’Amérique, ou les animaux consomment sept fois plus de céréales que la population! L’agriculture, et en particulier l’élevage, étant une source importante de pollution, la division par deux de notre consommation de viande et de produits laitiers permettrait de réduire de 25% à 40% nos émissions de gaz à effet de serre et de 40% nos émissions d’azote.
Biocarburants
La production d’éthanol, utilisé comme carburant, a plus que doublé entre 2005 et 2011 passant de 48 à 100 milliards de litres. Quant aux biodiesels, leur production a été quasiment multipliée par 5 sur la même période (de 5 à 24 milliards de litres). Pour l’éthanol ce sont les céréales et le sucre de canne qui sont responsables de la majeure partie de la production alors que pour le biodiesel ce sont les huiles végétales qui sont produites. En 2009, 20% de la production de sucre de canne, 10% de la production de céréales secondaires (hors blé), ou encore 10% des huiles végétales servaient à produire des agrocarburants.
Aux États-Unis d’Amérique, c’est un quart de la production de céréales qui est utilisée pour les biocarburants. Toujours là-bas, la production de maïs est utilisée à part à peu près égales entre le raffinage et la nourriture pour les animaux ! Cela est à mettre en lien avec les problèmes d’approvisionnement de pétrole : le manque de pétrole amène les différents pays à trouver des substituts dont les biocarburants font partie. En raison de la production de ces carburants, les prix des denrées alimentaires devient alors directement lié à celui du pétrole. Dans cette situation, l’accaparement des terres se mêle à l’accaparement de la biomasse, dont le résultat est d’un cynisme absolu. En Afrique, le continent sur lequel le plus de personnes souffrent de la faim, deux tiers des terres acquises servent à la production de biocarburants. L’Afrique n’est pas la seule concernée, l’Amérique latine rencontre des problèmes similaires. Tant pis donc, si nous faisons subir les conséquences de notre dépendance au pétrole aux populations qui n’ont pas assez pour se nourrir ou pour qui se nourrir devient trop cher.
Empreinte écologique
Pour la biomasse de manière générale, en prenant en compte ce qui a été récolté par l’Homme, ce qui a été détruit en raison de l’utilisation du sol pour d’autres usages, ou des terres qui ont été brûlées, nous nous approprions environ un quart de la biomasse terrestre. C’est-à-dire qu’une seule espèce animale, homo sapiens, parvient à accaparer un quart de la production végétale terrestre. Cela alors qu’une grande partie de la population n’a pas de quoi vivre décemment.
Les chantres du développement et de la croissance affirment que notre enrichissement permettra aux plus pauvres sur la planète d’accéder à des niveaux de vie toujours meilleurs. Or cela est inexact et même impossible puisque nous sommes limités par les capacités de notre planète. Nous ne pourrons pas utiliser 153% des capacités de la Terre, c’est évidemment absurde. Le développement a donc une limite. D’après les calculs du Global Footprint Network, nous pouvons utiliser en moyenne 1,8 hectare par personne. Or nous en consommons 2,7. C’est donc dès aujourd’hui qu’il faut réduire notre consommation et notre impact sur l’environnement. Dans le cas contraire, il sera impossible pour les plus pauvres d’accéder à des niveaux de consommation identiques aux nôtres. Contrairement à ce que voudraient nous faire croire les chantres de la mondialisation et du libéralisme, nous ne pourrons maintenir longtemps un tel niveau de vie, insoutenable pour la planète. Réduire notre consommation: pour permettre à d’autres de vivre décemment aujourd’hui et pour permettre à nos enfants de vivre dans de bonnes conditions demain.
Accaparement de la production
Nous avons vu dans la partie sur les inégalités de revenus que les plus riches accaparent une grande partie de l’augmentation des richesses. Si les réductions d’impôts, les niches fiscales, les fraudes expliquent en partie cela, il ne s’agit pas pour autant de la seule explication.
Un autre élément est la hausse des profits dans le monde et la part grandissante dévolue aux dividendes. La part des profits dans le PIB a augmenté de 2,6 points de PIB entre 2000 et 2010/2011 dans les pays du G20, mais l’investissement ayant stagné (+0,3 point), ce sont les actionnaires qui en ont tiré partie3. La différence est encore plus marquée parmi les pays riches du G20 où la part des profits a augmenté de 2,2 points tandis que la part de l’investissement chutait de 3,6 points4. La trésorerie des entreprises a augmenté de 2 300 milliards de dollars en 2000 à 6 500 milliards de dollars en 20115. Ce n’est pas la crise pour tout le monde. On constate la même chose aux États-Unis d’Amérique, de manière encore plus aiguë. La part des profits dans le PIB y est passé de 4% du PIB dans les années 1980 à 11% de nos jours. Cela n’est qu’une moyenne sur la totalité des entreprises, mais en se concentrant sur les 40 entreprises du CAC 40, le résultat est encore plus impressionnant. En 2012, ces 40 entreprises distribuaient en moyenne 85% de leurs bénéfices en dividendes.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, nous ne sommes pas dans un monde à la concurrence libre et non faussée6. Ce sont 747 banques, assurances, grands groupes qui contrôlent 80% de la valeur des entreprises mondiales. Bien loin d’une indépendance, ce ne sont que quelques-uns qui ont ainsi la maîtrise des décisions prises en matière de conditions de travail, de répartition des revenus, de partage du profit …
- voir par exemple le cas du Sierra Leone [↩]
- voir ici également [↩]
- voir page 79 du rapport [↩]
- Rappelons qu’en France, un point de PIB représente environ 20 milliards d’euros. Une augmentation des profits de 2,2 points représente donc plus de 40 milliards d’euros [↩]
- page 75 du rapport [↩]
- Qui, au passage, n’est qu’un concept théorique. Il suppose en effet que l’information entre tous les agents soit parfaite (ce qui n’est évidemment pas le cas), et qu’aucun des agents n’ait une position prédominante par rapport à l’autre. Vouloir appliquer cela dans la réalité n’a aucun sens. [↩]
Très bon résumé!
J’ajouterais la politique de brevets permettant l’accaparement abusif des savoirs, et même récemment celui des caractéristiques du vivant, une arme juridique désastreuse contre le citoyen au profit de toujours les mêmes.