Histoire de fabrication de la fable du DDT

J’ai longuement évoqué la fable consistant à rendre responsable des écologistes d’une interdiction (fantasmée) de l’insecticide DDT dans la lutte contre le paludisme, conduisant à des millions de morts. Si cela ne vous a pas suffi vous pouvez aller lire cet autre article avec profit. Le DDT n’a donc jamais été interdit dans la lutte contre le paludisme et rendre responsables les écologistes de ce fait n’est qu’un mensonge, les rendre responsables de millions de morts relève d’une grave manipulation. Dans quel but ? Pourquoi diffuser cette fable et de quand date-t-elle ?

À la recherche d’une première trace de la fable

Naomi Oreskes et Erik Conway, dans leur ouvrage Les marchands de doute s’intéressent au sujet. Ils datent l’émergence de la fable à 1992 (p. 377) :

Nous pouvons déceler l’émergence de cette logique chez une personne que nous avons déjà rencontrée : Dixy Lee Ray. Dans Trashing the Planet, Ray entonna l’hymne au DDT et construisit une série de « faits » qui ont depuis lors circulé sans interruption. Ainsi de l’« erreur » de l’abandon du DDT au Sri Lanka, où “les statistiques publiques de santé […] témoignent de l’efficacité du programme d’épandage”. Son livre commence ainsi : “En 1948, avant l’utilisation du DDT, on comptait 2,8 millions de cas de malaria [au Sri Lanka]. En 1963, il n’y en eut que 17. L’infection se maintint à un bas niveau jusqu’à la fin des années 1960, moment où les attaques contre le DDT aux États-Unis convainquirent les responsables de suspendre les vaporisations. En 1968, il y eut un million de cas de malaria. En 1969, ce nombre atteignit 2,5 millions, soit le niveau d’avant le DDT. En 1972, les charges largement infondées contre le DDT aux États-Unis avaient d’ailleurs fini par avoir un effet à l’échelle mondiale”

Dixy Lee Ray reprend donc certains mythes que j’ai pu dénoncer dans le précédent article sur le DDT. Mais pourquoi Ray ne dirait-elle pas la vérité ? Elle a été gouverneure de l’état de Washington et présidente de la commission de l’énergie atomique, ce qui ne nuit pas à sa crédibilité. En revanche ce qui nuit plus à sa crédibilité, ce sont des positions répétées, sur des sujets environnementaux, niant le consensus scientifique. Oreskes et Conway explique qu’elle nie l’effet de l’homme sur la couche d’ozone ou bien l’origine anthropique du réchauffement climatique. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle se trompe ici (ce qui est pourtant le cas), ni qu’il s’agit de la première à entonner ce genre de refrains.De manière contemporaine à Dixy Lee Ray, le professeur Edwards, entomologiste, publiait un article dans la revue Fusion à l’été 1992 pour dénoncer les « mensonges de Carson » : « sa propagande dans Silent Spring a largement contribué à l’interdiction des insecticides susceptibles de sauver des vies humaines. Carson partage littéralement la responsabilité de millions de morts parmi les populations pauvres dans les pays sous-développés ». En 1993, dans la même revue, il l’accuse alors de centaines de millions de morts. Quelle est cette revue Fusion qui diffuse ces thèses ? Il s’agit d’une revue, qui s’appelle maintenant 21st Century Science & Technology, qui vise à la promotion du progrès scientifique. Cela inclut apparemment la négation du réchauffement climatique. Disons que cela ne contribue pas à la crédibilité de la revue, ni à prouver qu’elle cherche à s’appuyer sur des preuves scientifiques solides. Au delà de ces deux personnes qui semblent avoir initié le mouvement (mais peut-être certains les ont-ils précédés ?), essayons de regarder comment a évolué le traitement médiatique du DDT et du paludisme dans le temps.

Comment parle-t-on du DDT dans les livres ?

Une chose intéressante est de regarder la façon dont le DDT dans le traitement contre le paludisme est évoqué dans les ouvrages. Pour cela nous pouvons utiliser Ngram Viewer de Google. Une limite de l’outil c’est qu’il ne permet de rechercher que des mots contigus dans les livres. Mais il s’agit, à ma connaissance, du seul outil permettant de regarder l’évolution des mots dans les ouvrages sur de longues périodes.

Un premier test peut être de regarder les mots qui sont accolés à DDT. S’agit-il plutôt de l’interdiction (ban en anglais, et ses dérivés), de la résistance ou de la pulvérisation (spraying en anglais) ?

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Les résultats, dans ce cas, sont en pourcentage car il s’agit d’un pourcentage du nombre de livres dans lesquels on trouve « DDT ». Ce qu’on y voit est déjà très intéressant. Avant les années 1970 c’est la pulvérisation (en vert), puis l’apparition de résistance (en rouge) qui dominent. Ensuite, avec l’interdiction du DDT aux États-Unis ou dans d’autres pays riches, l’interdiction commence à émerger dans les livres (en bleu). Et on assiste à un renversement au début des années 1990, avec l’intérêt pour la résistance qui continue à diminuer et l’intérêt pour l’interdiction qui continue à augmenter. Peut-être le livre de Ray y a-t-il contribué. Une autre explication (en tout cas concernant l’intérêt pour l’interdiction) concerne la convention de Stockholm visant à interdire des polluants organiques persistants, dont le DDT fait partie. La convention sera signée en 2001, le DDT étant exempté d’interdiction pour la lutte contre le paludisme. Le début des négociations internationales ont lieu en 1997, ce qui n’explique dont pas les croissances inversées des courbes dans la première moitié des années 1990. C’est un premier élément qui permet d’illustrer à la fois l’importance de la résistance dans les livres et la baisse d’intérêt pour cette résistance à partie du début des années 1990, compensée par un intérêt pour l’interdiction.

Une autre possibilité est de regarder la forme du verbe kill (tuer) employée dans les livres en association avec malaria (le paludisme).

malaria-kill_ngram

Cette fois le pourcentage exprimé est en pourcentage du nombre de livres indexés par Google contenant le terme malaria. Étonnamment, la forme passée du verbe (killed, en rouge) est relativement stable au cours du temps, alors que par définition de plus en plus de personnes ont été tuées par le paludisme. En revanche la forme présente (kills, en bleu) dépasse, pour la première fois, les 0,03% à partir du début des années 1990, pour exploser à partir du début des années 2000. Pourtant cela ne reflète absolument pas le nombre de décès imputables au paludisme, puisque d’après l’OMS depuis 2001 le taux de mortalité et la mortalité ont légèrement baissé. Est-ce un marqueur de la campagne de désinformation sur le DDT ?

On remarque aussi le même genre de phénomène en utilisant le mot deaths (morts) :

malaria-deathUne phrase souvent utilisée par les défenseurs de la fable est « Rachel avait tort » (Rachel was wrong) en référence à Rachel Carson, auteure du livre Silent Spring qui dénonçait notamment les effets du DDT, mais qui ne militait pas pour une interdiction totale du DDT. L’évolution de la phrase Rachel was wrong peut ainsi nous aider à dater l’émergence du mythe :rachel-wrongCette fois-ci le pourcentage est un pourcentage du nombre total de livres indexés par Google. Les montées et descentes très nettes dans les années 70 et au début des années 1980 sont dues à un nombre plus réduits de livres qu’après. Ce qu’on remarque ensuite c’est une popularisation du terme pour voir son utilisation fortement augmenter à partir de la deuxième moitié des années 1990. La phrase est tellement populaire qu’un site au nom de rachelwaswrong.org est mis en place par l’institut de l’entreprise compétitive, un think tank libertarien. Si Rachel Carson avait tort, pourquoi attendre la fin des années 1990 pour le dire ? Quels sont les éléments nouveaux permettant d’affirmer qu’elle avait tort ? En fait Rachel n’avait pas tort, c’est ce qu’on peut lire dans une synthèse de l’agence européenne de l’environnement.

Si pris séparément, on peut trouver un certain nombre de biais à chacun des graphiques, pris globalement ils permettent de dessiner un paysage relativement cohérent montrant l’émergence de la fable dans le courant des années 1990. Cela ne constitue pas pour autant une preuve définitive. Une telle preuve serait de toute façon très difficile à mettre en avant puisqu’il faudrait que des personnes se mettent d’accord pour l’invention de cette fable (ce qui n’est pas acquis, on peut imaginer que certaines personnes lisant le livre de Ray pensent qu’il serait intéressant d’appuyer là-dessus), qu’il y en ait des traces écrites et qu’on les retrouve. Mais ne nous contentons pas d’analyser les livres. Dans le même temps, que se passait-il dans la presse ?

La fable du DDT dans les journaux

Le New York Times permet de rechercher gratuitement dans toutes ses archives et permet également d’accéder à tous les articles depuis 1982. Cela a été d’une grande aide. Si quelqu’un a accès à des archives d’autres journaux anglophones, je suis intéressé. Le but est de vérifier comment le DDT est évoqué lorsqu’il s’agit de lutte contre le paludisme : dit-on qu’il a été totalement interdit causant des millions de morts, dit-on que la résistance de certains moustiques a conduit à son inefficacité dans certaines situations, etc ? Je me concentre donc sur les résultats d’une recherche pour les termes malaria et DDT. Voici le nombre de résultats obtenus, sommés par période de 3 ans :

Évolution du nombre de publications dans le New York Times avec les termes malaria et DDT.

Évolution du nombre de publications dans le New York Times avec les termes malaria et DDT.

On observe une évolution similaire à celle constatée sur les livres : un intérêt fort jusque dans le milieu des années 1970, puis une ré-émergence au milieu des années 1990. Mais cette fois, plutôt que de juste regarder le nombre, nous pouvons aller voir le contenu, en tout cas pour les publications postérieures à 1982. Évidemment, certaines publications seront inutiles car ne mentionnant ni l’apparition de résistance ni une interdiction totale. Je me concentre donc uniquement sur les articles qui soit accréditent la fable, soit la discréditent.

Faisons simple : il n’y a pas un seul article avant 1997 accréditant (même partiellement) la fable. Il y a pourtant des articles parlant de l’utilisation du DDT dans la lutte contre le paludisme. Tous font mention de l’apparition de moustiques résistants, certains mentionnent aussi d’autres facteurs (comme la façon dont la campagne est menée). Pour être exhaustif, on trouve deux articles en 1984 (ici et ici), un en 1986, un en 1988, un en 1991 et un dernier en 1995.

C’est donc en 1997 qu’on trouve une première trace de la fable, dans un article de Nicholas Kristof, toutefois prudent, où les deux versions sont mélangées : à la fois une forte réduction de l’utilisation du DDT en raison de ses effets sur l’environnement et à la fois l’émergence de moustiques résistants aux insecticides1. De façon intéressante le même auteur publie de nouveau des articles sur le sujet paludisme et DDT en 2005 et sa position évolue… dans le sens de la fable. Il n’y parle plus de résistance des moustiques. Dans le premier, il parle de stigmatisation mondiale du DDT, de refus d’agences occidentales de financer des luttes contre le paludisme avec le DDT mais aussi du fait que le DDT ne fonctionne pas partout2. Dans le second article, il est moins nuancé puisqu’il dit tout simplement que les écologistes ont « bloqué toute pulvérisation dans le tiers monde conduisant à des centaines de milliers de morts du paludisme »3. Que s’est-il passé entre temps ?

Entre temps, de nombreux articles ont été publiés sur le sujet du paludisme et du DDT mais rares sont ceux faisant écho au problème de résistance, ou à d’autres problèmes liés à la lutte contre le paludisme. Je ne vais pas faire la revue complète des articles (en fait, si, elle est à la fin si vous le souhaitez, mais je ne l’impose pas !).

Il me semble intéressant de noter qu’un article de John Tierney, en 1999 donne écho de manière absolument non ambigue à la fable4 : « Résultat de la pression des groupes environnementaux et des agences internationales, l’utilisation du DDT a été réduite outre-mer. Les écologistes maintiennent que le paludisme peut être contrôlé par d’autres moyens, même dans les pays pauvres, mais le taux de la maladie est monté en flèche dans de nombreux endroits depuis que la pulvérisation du DDT s’est arrêtée. ». L’auteur de l’article fait également référence à un site web, junkscience.com, diffusant « 100 faits qu’il faut connaître sur le DDT ». Ce site web a été créé par Steven Milloy tout comme la page web coécrite avec le professeur Edwards (qu’on a croisé au tout début de cet article : il s’agit d’un des initiateurs de la fable sur le DDT). Le site a originellement été financé par le TASSC (The Advancement of Sound Science Coalition), un groupe fondé par l’industrie du tabac pour nier le tabagisme passif et qui a ensuite été étendu à d’autres industries pour nier d’autres effets potentiellement néfastes (réchauffement climatique, pesticides…). Steven Milloy a été un des dirigeants du TASSC et a contribué à nier la science (notamment à travers son site junkscience.com) sur un certain nombre de sujets comme le tabagisme ou le réchauffement climatique. Il s’agit donc non pas d’une source fiable mais d’un marchand de doute, qui remplit donc pleinement son rôle en diffusant la fable du DDT à travers son site web.

Il y a aussi deux courriers de lecteur, écrits par Richard Tren, président de Africa Fighting Malaria qui sont publiés. C’est l’occasion de parler de Africa Fighting Malaria. Il s’agit d’une ONG imaginée par Roger Bate. Roger Bate, en 1998, cherchait à diffuser la fable du DDT à travers un livre. Il est, comme Steven Milloy, un marchand de doute niant les éléments scientifiques sur le tabagisme passif, le réchauffement climatique ou sur la couche d’ozone. Dans un livre écrit par des membres de cette ONG, dont Roger Bate et Richard Tren, la fable est explicitement utilisée : ils accusent des écologistes d’avoir conduit à l’arrêt de l’utilisation du DDT contre le paludisme5.

À noter aussi : un article de 2006 donnant un son de cloche différent. Selon l’auteure les américains et les européens trouvaient hypocrites de financer des programmes à base de DDT, qui était interdit chez eux. J’ignore si c’est vrai, il n’y a aucun élément à l’appui de cette affirmation. Mais après tout, c’est aussi fondé que la fable que je dénonce. Mais elle dit aussi que les USA ont fait pression sur les pays latins pour arrêter le DDT… Pourtant le Mexique l’a longtemps utilisé !

Résumons alors la teneur des différents articles parcourus. Regardons le nombre qui mentionnent l’émergence de moustiques résistants et ceux qui ne le mentionnent pas, tout en donnant d’autres raisons à la résurgence du paludisme.

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Les publications du New York Times, omettant l’existence de moustiques résistants au DDT, ont émergé à la fin des années 90 et se concentrent au début des années 2000. La prouesse est assez remarquable. De 2000 à 2005, les publications ne mentionnant pas les résistances dépassent largement celles qui les mentionnent (9 contre 3), complètement à l’opposé de ce qui se passait avant 1997. On observe le même genre de phénomène si on s’intéresse aux articles laissant penser que l’interdiction du DDT incluait la lutte contre le paludisme.

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On observe le même genre de résultats pour une raison simple : ce sont souvent les mêmes publications qui d’un côté omettent l’apparition de résistances, et de l’autre côté laissent penser que l’interdiction du DDT a été totale.

Bilan des constatations

Des différents graphiques présentés ci-dessus il n’est en rien possible de prouver quoi que ce soit formellement. En revanche, ces graphiques constituent des éléments de preuve. La fable du DDT semble avoir émergé dans les années 90. Dans les publications du New York Times, elle culmine en 2005. Il est possible que la convention de Stockholm (signée en 2001, entrée en vigueur en 2004) ait joué un rôle dans le regain d’intérêt sur le sujet et ait amené certains à noircir le trait sur les conséquences d’une interdiction (fantasmée) du DDT dans le passé.

Il est intéressant de noter que dès 1999 il est fait référence à Steven Milloy dans le New York Times, année de la publication par Milloy de son « argumentaire » sur le DDT. C’est d’ailleurs à partir de là que d’autres publications suivent dans le New York Times, relayant à des degrés divers la fable.

Savoir qui a influé réellement sur les événements est très difficile si ce n’est impossible. Est-ce Milloy qui a eu de l’influence ? Il en a eu c’est certain (puisqu’il est cité dès 1999), mais à quel point ? Est-ce Ray qui a lancé les hostilités avec son ouvrage de 1992 ? Est-ce Bates, son association Africa Fightingt Malaria et son ouvrage ? Probablement les trois. Et probablement d’autres aussi.

Ce qui est net, c’est que personne dans le New York Times, ne relaie une version de la fable avant 1997. Ce qui ressort aussi des graphiques précédents c’est que les décès liés au paludisme, l’interdiction du DDT ou le fait que Rachel (Carson) ait pu avoir faux connaît un intérêt grandissant à partir des années 1990. Quelle en est la raison ? A-t-on connaissance d’un rapport officiel, d’un article scientifique ayant mis en évidence quoi que ce soit de nouveau à ce propos au début des années 1990 ? Je n’ai jamais rien vu de tel cité. Il se trouve que la meilleure explication que nous ayons à disposition, à mon avis, se situe dans les rôles joués par Ray, Bates, Milloy ou d’autres pour discréditer les campagnes menées par des écologistes. Ça ne veut pas dire qu’il s’agit de la vérité, mais c’est l’explication qui me semble permettre de raccorder tous les éléments.

Bonus : revue des articles du New York Times postérieurs à 1997 traitant de paludisme et du DDT

1998

1999

  • Un article parle de pression sur les pays pour ne plus utiliser de DDT ainsi que d’une résurgence de la maladie en partie en raison d’une réduction de l’utilisation du DDT. Nous sommes là dans une version édulcorée de la fable. En revanche l’article parle de résistance aux insecticides mais pour mieux justifier l’emploi du DDT ! « Parce que les moustiques développent des résistances aux pesticides, le Dr Kilama affirme que se passer du DDT serait une erreur ».
  • Un courrier de lecteur dit la chose suivante : « En 1970, le paludisme était quasiment sous contrôle [Ce qui est faux, l’OMS ayant acté l’échec de se campagne d’éradication à la fin des années 1960]. Cependant, à cause de l’interdiction du DDT, qui a conduit à la résistance de moustiques aux insecticides et à la résistance du parasite aux médicaments, et de l’échec des pays à d’adopter des programmes de contrôle du paludisme, la maladie tue maintenant plus de gens que jamais auparavant. »7 . Là aussi nous sommes dans une version édulcorée de la fable : plusieurs raisons sont données à la résurgence du paludisme. Surtout, le lien entre l’interdiction du DDT et le développement de résistances (aux insecticides ou aux médicaments) est pour le moins hasardeux. Mais déjà, on voit les premières accusations des conséquences de l’interdiction du DDT.
  • Un article de John Tierney donne écho de manière absolument non ambigue à la fable8 : « Résultat de la pression des groupes environnementaux et des agences internationales, l’utilisation du DDT a été réduite outre-mer. Les écologistes maintiennent que le paludisme peut être contrôlé par d’autres moyens, même dans les pays pauvres, mais le taux de la maladie est monté en flèche dans de nombreux endroits depuis que la pulvérisation du DDT s’est arrêtée. ». L’auteur de l’article fait également référence à un site web, junkscience.com, diffusant « 100 faits qu’il faut connaître sur le DDT ». Ce site web a été créé par Steven Milloy tout comme la page web. Le site a originellement été financé par le TASSC (The Advancement of Sound Science Coalition), un groupe fondé par l’industrie du tabac pour nier le tabagisme passif et qui a ensuite été étendu à d’autres industries pour nier d’autres effets potentiellement néfastes (réchauffement climatique, pesticides…). Steven Milloy a été un des dirigeants du TASSC et a contribué à nier la science (notamment à travers son site junkscience.com) sur un certain nombre de sujets comme le tabagisme ou le réchauffement climatique. Il s’agit donc non pas d’une source fiable mais d’un marchand de doute, qui remplit donc pleinement son rôle en diffusant la fable du DDT à travers son site web. Quant à l’article du New York Times il ne parle pas de résistance des moustiques au DDT. C’est le deuxième article publié en 1999 qui commet cet « oubli ». Pourtant tous les articles précédents s’intéressant au rôle du DDT dans la lutte contre le paludisme ont mentionné l’apparition de résistances.

2001

  • Un édito (ou une tribune ?) rappelle bien l’émergence de souches résistantes de moustiques9 : « sa sur-utilisation [du DDT] a tourné, à long terme, à l’avantage de souches résistantes de moustiques, de même pour la surutilisation de chloroquine, le principal médicament antipaludique ».
  • Un autre article s’appuie sur un rapport du PNUD (le programme des Nations Unies pour le développement). Il prétend que l’interdiction mondiale du DDT a permis la résurgence de moustiques dévastant les pays tropicaux. Dans ce cas, il ne s’agit pas de la fable « habituelle » mais d’une variante contemporaine. La fable habituelle dit que l’interdiction dans certains pays du DDT dans les années 1970 aurait de facto conduit à l’interdiction totale du DDT ce qui aurait engendré des millions de morts. Ici le rapport parle de l’interdiction du DDT (à l’exception de la lutte contre le paludisme) dans le cadre de la convention de Stockholm signée… en 2001, c’est-à-dire la même année que le rapport et l’article du New York Times, ce qui semble très rapide pour tirer des conclusions, d’autant qu’elle est entrée en vigueur en 2004. Surtout, cela n’est pas corroboré par les faits : comme je l’ai déjà signalé il n’y a pas eu d’augmentation des taux d’incidence ou de mortalité du paludisme après 2001.

2002

  • Un éditorial reprend cette fable « contemporaine » des pays riches interdisant l’utilisation, ou empêchant l’utilisation, du DDT dans la lutte contre le paludisme. À nouveau il n’est fait mention de l’apparition de résistance que pour justifier l’utilisation du DDT et non pour illustrer ses limites.
  • Cet éditorial a rencontré un supporter puisque quelque jours après, Richard Tren, président de Africa Fighting Malaria, voit publié un courrier insistant sur le fait que les donateurs ne veulent pas contrarier les écologistes.

2003

  • Un article de 2003 associe une interdiction large du DDT (dans les années 1970) avec une résurgence du paludisme, donnant encore de l’écho à la fable.

2004

  • En 2004, Tina Rosenberg publie un article… inclassable. Il y a quelques raccourcis, des façons biaisées de présenter les choses qui laissent deviner l’opinion de la journaliste, mais pas vraiment de mention explicite de la fable. Cet article déclenche des réactions dans le journal. Deux courriers sont publiés à sa suite.
  • Un qui prétend que les politiques doivent arbitrer entre le « principe de précaution des écologistes » et le « souci pratique de contrôler les maladies infectieuses ».
  • Un autre affirme que des groupes de pression ont conduit à l’interdiction du DDT.

2005

2006

  • le journal publie un article sur la nouvelle personne en charge de la lutte contre le paludisme à l’OMS. L’article commence bien : il précise qu’il n’y a pas de solution miracle puisque les moustiques ou le parasite développent des résistances à tout médicament ou pesticide miracles. Malheureusement, quelques paragraphes plus loin, quand il est spécifiquement question du DDT, l’auteur affirme qu’il a été retiré à cause de ses dommages sur l’environnement. Et encore ! Ce n’était pas la formulation d’origine, elle a été corrigée a posteriori. Voici la correction : « Son utilisation [du DDT] a été interdite dans beaucoup de pays pour des raisons environnementales ; il n’a pas été retiré complètement ». Merveilleuses œuvres de la réécriture de l’histoire qui arrive à influer jusque sur les pages scientifiques du journal !
  • Tina Rosenberg publie un autre article dénonçant l’attitude des USA vis-à-vis de pays latins sur lesquels ils auraient fait pression pour l’abandon du DDT. Elle affirme également que les américains et européens ont refusé de donner à des campagnes de lutte contre le paludisme utilisant le DDT en raison de l’hypocrisie que cela représenterait de financer des campagnes à base de DDT alors qu’on l’interdit chez soi. Elle explique également que le problème vient aussi de l’avarice des donateurs qui ne veulent pas financer des campagnes de pulvérisation à domicile10.

2007

  • John Tierney écrit un nouvel article. Le précédent sur le sujet était celui de 1999 citant Milloy. Il s’agit cette fois d’un plaidoyer entier contre Rachel Carson. Il prétend que la pulvérisation de DDT a été abandonnée et que les coûts humains en ont été terribles11.

2008

2010

  • Ironiquement l’auteur de l’article précédent écrit un article relayant (de manière légère) la fable. Il prétend que l’utilisation du DDT au Sri Lanka a été arrêtée dans les années 60 car il y serait tombé en disgrâce, conduisant à une remontée du nombre de cas en 1969. Il ne relaie pas les informations pourtant contenues dans différentes sources : résistance des moustiques à l’insecticide et coûts économiques.

2012

Bonus : liste des articles publiés par le New York Times

La liste des articles du New York Times contenant certains mots clés a été extraite automatiquement. Ces listes sont disponibles en dessous. Dans chacun des fichiers, une ligne correspond à un article et est décomposée en plusieurs champs tous séparés par des tabulations. Voici la signification de ces différents champs :

  1. Année
  2. Mois
  3. Jour
  4. Média (NYT pour New York Times)
  5. Titre
  6. Rubrique
  7. Titre dans le journal papier
  8. Extrait contenant les mots clés recherchés
  9. Lien vers l’article complet

Mises à jour

  • 11/06/2014 : Mention des deux articles d’Edwards dans la revue Fusion.
  1. « In the 1950’s, experts were optimistic that malaria could be wiped out, and for a time DDT and other insecticides led to a sharp reduction of mosquitoes and of the disease. But the use of DDT and similar chemicals was sharply curtailed because of their dreadful environmental effects, and partly as a result malaria began a long upswing around the world in the 1960’s and 70’s. […] In addition, mosquitoes are emerging that are resistant to ordinary insecticides, and together they make a ferocious combination: super mosquitoes armed
    with drug-resistant super malaria. » []
  2. « But then the growing recognition of the harm DDT can cause in the environment — threatening the extinction of the bald eagle, for example — led DDT to be banned in the West and stigmatized worldwide. Ever since, malaria has been on the rise.

    But most Western aid agencies will not pay for anti-malarial programs that use DDT, and that pretty much ensures that DDT won’t be used. Instead, the U.N. and Western donors encourage use of insecticide-treated bed nets and medicine to cure malaria.

    DDT doesn’t work everywhere. It wasn’t nearly as effective in West African savannah as it was in southern Africa, and it’s hard to apply in remote villages. And some countries, like Vietnam, have managed to curb malaria without DDT. » []

  3. « The problems are real, but so is the uncertainty. Environmentalists were right about DDT’s threat to bald eagles, for example, but blocking all spraying in the third world has led to hundreds of thousands of malaria deaths. » []
  4. « In 1970, the National Academy of Sciences estimated that DDT had prevented 500 million human deaths worldwide from malaria. Since then, as a result of the pressure from environmental groups and international agencies, the use of DDT has been reduced overseas. ENVIRONMENTALISTS maintain that malaria can be controlled by other means, even in poor countries, but the disease rate has soared in many places since DDT spraying stopped. » []
  5. « As a result of these and other environmentalist attacks, DDT was removed from malaria-control programs, costs of malaria control skyrocketed, and the health and welfare of poor people in poor countries plummeted. » []
  6. « Malaria, once curbed with DDT and chloroquine, is now resurgent in Africa and other parts of the world because the parasite and the mosquitoes that spread it have developed resistance to the usual control measures. » []
  7. « By 1970, malaria was nearly under control. However, because of the banning of DDT, which led to insecticide resistance in mosquitoes and drug resistance in parasites, and the failure of countries to adopt malaria control programs, the disease now kills more people than ever before. » []
  8. « In 1970, the National Academy of Sciences estimated that DDT had prevented 500 million human deaths worldwide from malaria. Since then, as a result of the pressure from environmental groups and international agencies, the use of DDT has been reduced overseas. ENVIRONMENTALISTS maintain that malaria can be controlled by other means, even in poor countries, but the disease rate has soared in many places since DDT spraying stopped. » []
  9. « Mosquitoes might at first have considered DDT to be a superweapon, but in fact its overuse has worked out in the long run to the advantage of resistant strains of mosquito, as did the overuse of chloroquine, the principal anti-malaria drug » []
  10. «Yes, except that Africa’s malaria programs are financed by donors and vetted by the world’s health establishment, which is dominated and financed by the United States and Europe, where DDT is also banned. People in rich countries felt it would be perceived as hypocritical to push a product in poor countries that they had banned at home. Even malariologists who knew DDT could be used safely dared not recommend it.The United States, which used DDT irresponsibly to wipe out malaria, ended up blocking much poorer and sicker countries from using it responsibly. Under American pressure, several Latin American countries that had controlled malaria stopped using DDT — and in most of them, malaria cases soared.The other reason for DDT’s demise was donor tightfistedness. DDT has to be sprayed inside houses, an activity that needs to be carried out by governments. In most African countries, this means donors must pay. They balked, and insecticide-treated bednets became bureaucrats’ preferred solution. Donors liked the program because it was cheap and sustainable, as consumers would buy the nets — often at subsidized prices. But it has failed. The nets work — but even at $5, few can buy them. The most recent data show that only 3 percent of African children sleep under treated nets » []
  11. «It’s often asserted that the severe restrictions on DDT and other pesticides were justified in rich countries like America simply to
    protect wildlife. But even that is debatable (see www.tierneylab.com), and in any case, the chemophobia inspired by Ms. Carson’s book has been harmful in various ways. The obsession with eliminating minute risks from synthetic chemicals has wasted vast sums of money: environmental experts complain that the billions spent cleaning up Superfund sites would be better spent on more serious dangers.The human costs have been horrific in the poor countries where malaria returned after DDT spraying was abandoned. Malariologists have made a little headway recently in restoring this weapon against the disease, but they’ve had to fight against Ms. Carson’s disciples who still divide the world into good and bad chemicals, with DDT in their fearsome ”dirty dozen.” » []
  12. «The best opportunity probably existed in 1955, the year Mr. Gates was born and the year the W.H.O. said it would eradicate malaria. With weapons then new, DDT and chloroquine, a fast-acting synthetic quinine, annual deaths were driven down below 500,000.But as an old bitter joke among parasitologists goes:  “We didn’t wipe out malaria. We wiped out malariologists.” It was working so well that young scientists chose other fields.Then, slowly, it fell apart. Chloroquine-resistant parasites and pesticide-resistant mosquitoes emerged. Rachel Carson’s 1962 book “Silent Spring” made DDT a pariah.And the world changed. Before the 1960s, colonial governments and companies fought malaria because their officials often lived in remote outposts like Nigeria’s hill stations and Vietnam’s Marble Mountains. Independence movements led to freedom, but also often to civil war, poverty, corrupt government and the collapse of medical care.The best-known example of defeat snatched from the jaws of victory is
    Sri Lanka, which went from one million malaria cases in 1955 to a mere 18 in 1963. Spraying was cut back, and cases surged to 537,000 by 1969. By 2005, the country was again down to 1,640 cases.» []

3 comments for “Histoire de fabrication de la fable du DDT

  1. toohlil
    19/12/2014 at 13:45

    Beaucoup de travail ici pour tracer cette rumeur écolo-sceptique néo-conne. Sa teneur et sa consistance font bien sûr penser aux firmes de relations publiques des vrais éleveurs de faucons.
    Vous êtes pugnace.
    J’ai par ailleurs apprécié vos interventions sur le blog très inégal de N. Yeganefar.

  2. toohlil
    19/12/2014 at 13:50

    Beaucoup de travail ici pour tracer cette rumeur anti-écolo néo-conne. Sa teneur et sa consistance font bien sûr penser aux firmes de relations publiques des vrais éleveurs de faucons.
    Vous êtes pugnace.
    J’ai par ailleurs apprécié vos interventions sur le blog très inégal de N. Yeganefar.

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